AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Ce tome fait suite à Nailbiter, tome 4 : La soif de sang (épisodes 16 à 20) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il contient les épisodes 21 à 25, initialement parus en 2016, ainsi que le numéro spécial Nailbiter-Hack/Slash (2015), tous écrits par Joshua Williamson, dessinés et encrés par Mike Henderson, avec une mise en couleurs d'Adam Guzowski. Pour pouvoir suivre l'intrigue, il faut avoir commencé la série avec le premier tome There will be blood (épisodes 1 à 5).

Nailbiter-Hack/Slash (16 pages) - Cassie Hack et Vlad recherchent un tueur en série appelé Mister Fatal, dans une fête foraine à proximité de Buckaroo, dans l'Oregon. Vlad décide que cette recherche est vouée à l'échec et il préfère retourner dormir dans leur van. Cassie Hack repère un individu bizarre qui la sème, puis la surprend par derrière. Edward Warren entame la conversation avec elle.

Bizarre autant qu'étrange cette idée de crossover entre Nailbiter et Hack/Slash de Tim Seeley. Il est vrai que ce dernier avait déjà organisé un crossover entre sa série Revival avec la série Tony Chu de John Layman & Rob Guillory. Plutôt de bonne composition, le lecteur se laisse porter par cette rencontre qui n'apporte pas grand-chose à la série Nailbiter, et un peu de visibilité à la série Hack/Slash de Tim Seeley. Il n'est pas besoin de connaître le principe de cette dernière pour comprendre les sous-entendus de Cassie Hack, mais le lecteur curieux peut aller jeter un coup d'oeil à Hack/Slash: My first maniac pour découvrir ses origines. Mike Henderson réalise toujours des dessins descriptifs avec un niveau de détail simplifié, et un sens de la mise en scène diablement efficace. Il privilégie souvent les cases de la largeur de la page, se servant de toute cette largeur pour y intégrer des éléments d'informations visuels.

Henderson se montre toujours aussi habile pour mettre en scène l'horreur des actions des tueurs en série, entre détail glauque (une lame de rasoir montée sur un manche de brosse à dents), et sous-entendu l'usage de cet ustensile en ombre chinoise. de la même manière, il dessine le bras d'une victime sous la forme d'une masse noire, avec seulement les ongles qui ressortent. Joshua Willaimson effectue sa narration sur le même mode en creux. A priori, cette rencontre est destinée à rester anecdotique, mais en fait le lecteur impliqué dans l'histoire globale a gardé à l'esprit que le nombre de tueurs en série de Buckaroo est fini et égal à 16. Il voit donc là l'occasion d'en voir un autre en action.

-
- Épisodes 21 à 25 - 2 étudiants viennent batifoler de nuit sur la grande pelouse du lycée. Ils y trouvent Alice debout sur une table en extérieur, tenant dans sa main droite un sabre, et dans la gauche la tête d'un individu qu'elle vient de décapiter, son corps étant étendu sur la table. Comment en est-elle arrivée là ? Plutôt ce jour-là, des étudiants évoquaient les causes possibles du nombre élevé de tueurs en série à Buckaroo : un agent chimique dans l'eau potable, une expérimentation d'état, l'éducation dispensée par les profs. Ils évoquaient aussi 3 tueurs en série particuliers : Hatewatcher, la Blonde, Mister Fatal.

En arrivant pour ses cours, Alice est tombée sur ces étudiants qui l'ont prise à partie, la traitant de future tueuse en série du fait de son ascendance. de son côté, la shérif Shannon Crane doit expliquer à Morty (le médecin légiste) pourquoi elle a accepté l'aide du révérend Fairgold. Edward Charles Warren est relâché du quartier général de Portland (Oregon) et il est attendu à la porte par Nicholas Finch (NSA). À Buckaroo, Joy (la Blonde, une des 16 tueuses en série) est en train de superviser les travaux de réouverture de la boutique souvenir sur les tueurs en série. L'agente Baker (FBI) est toujours internée. le Boucher (le tueur avec le masque cornu) court toujours. Certains étudiant se sont fait tatouer son masque sur l'épaule.

Avec la lecture du tome précédent, le lecteur avait pris conscience que le scénariste s'intéressait peut-être plus à la ville de Buckaroo et à son histoire qu'au mystère de base, c'est-à-dire la raison pour laquelle elle a engendré 16 tueurs en série. Il s'attend donc à ce que Williamson continue sur cette lancée, entre bribes d'informations sujettes à caution (voire démenties dès l'épisode suivant) sur l'origine de ces tueurs, et fuite en avant du récit, de découverte en découverte, sans jamais aboutir, sans jamais donner l'impression de tenir quelque chose de solide. Il y a bien sûr de ça dans ce cinquième tome. le scénariste s'amuse à ramener des tueurs en série comme la Blonde (et un autre), à mettre en scène le Boucher, à évoquer une personne qui tirerait les ficelles dans les coulisses (celui qui donne des ordres au Boucher, appelé le Maître), et à introduire des expériences sur le sang de plusieurs patients. Mais il y a aussi autre chose.

Contre toute attente, Joshua Williamson relie entre eux plusieurs fils narratifs, et en revisite certains dont le lecteur pensait qu'il avait épuisé tout le potentiel narratif. Il y a donc un retour dans les souterrains aux alentours de Buckaroo, et même l'évocation de la construction de la très mystérieuse et très improbable pyramide. L'impression de fuite en avant au gré de l'inspiration diminue, en même temps que le lecteur découvre des éléments qui tendraient à prouver qu'il y a bien un schéma directeur dans cette série. La réapparition de Joy produit également cet effet pour 2 raisons. D'un part, ce retour fait comprendre au lecteur que 16 tueurs en série est un nombre fini et que l'auteur semble bien disposer d'un plan d'ensemble dans lequel ils ont tous un rôle à jouer de manière individuelle et personnalisée. Ensuite, les conditions du retour de la Blonde font écho à celle de la relaxe d'Edward Warren, impliquant que là encore il ne s'agissait pas d'une facilité scénaristique vite oubliée, et qu'il y a bien un dessein derrière cet événement.

La confiance entre le scénariste et le lecteur se restaurant petit à petit, ce dernier retrouve son intérêt à s'investir dans les personnages. Au fil des pages, il se rend compte qu'il apprécie toujours autant l'imprévisibilité d'Edward Warren. Il est impossible de savoir ce qu'il va faire ensuite, mais ses actions restent logiques par rapport à sa personnalité. Il dispose d'un rôle important dans ce tome, et on en apprend plus sur son passé, en particulier un pan de sa jeunesse à Buckaroo. le lecteur retrouve également Shannon Crane, Nicholas Finch, le docteur Glory, mais c'est Alice qui dispose du plus grand temps d'exposition. À nouveau, c'est une révélation, car l'histoire de cette jeune femme donnait au départ l'impression de d'être qu'une facette parmi plusieurs autres dans la description de Buckaroo. Avec ces épisodes, Williamson réussit à la faire exister engendrant une empathie vivace chez le lecteur. Elle ne devient pas subitement une héroïne parfaite, mais le lecteur ressent un solide attachement émotionnel avec elle, allant croissant au fur et à mesure des épreuves qu'elle traverse.

Mike Henderson reste également fidèle à lui-même : des traits de contour un peu secs, pas toujours appliqués (des surfaces qui sont mal fermées), des éléments plus esquissés que représentés (par exemple la barbe de Nicholas Finch à coup de gros traits rapides), des expressions parfois exagérées (quand Warren mord la main de celui qui conduit la voiture), des décors parfois très sommaires (3 traits pour évoquer la forme d'un couloir), ou absents et les nez particuliers (à commencer par celui d'Edward Warren quasi inexistant). Mais à côté de ces caractéristiques parfois agaçantes, sa narration visuelle réussit à installer le suspense nécessaire au récit, alors que le lecteur contrôle la vitesse à laquelle il découvre les pages, et que l'artiste ne peut pas lui imposer le rythme comme peut le faire un réalisateur dans un film.

Bien sûr, l'artiste n'a d'autre choix que d'y aller franco dans les scènes gore, mais avec une légère touche de grand guignol qui permet d'éviter le voyeurisme malsain. le lecteur sourit en voyant le dessin en double page consacré à Alice tenant la tête de sa victime, et maculée de sang. Mais s'il s'arrête un peu plus longtemps sur le dessin, il remarque l'expression d'hébètement du personnage qui en dit long sur son état d'esprit. Quand Edward Warren se jette sur la main du conducteur de la voiture, le lecteur sourit à nouveau devant l'expression de malade mental de Warren, pourtant la scène fonctionne quand même, parce qu'en même temps il se souvient de la scène d'ouverture du premier tome qui ne laissait aucun doute sur la sauvagerie de Warren.

Mais parfois, Mike Henderson déplace délicatement l'équilibre entre second degré et premier degré, vers ce dernier. Il peut soit utiliser des ombres chinoises pour rendre compte de la folie furieuse qui préside au massacre, comme lorsque le Boucher tranche les membres de plusieurs personnes. Il peut également devenir un peu plus réaliste dans sa description et montrer des détails qui peuvent faire sourire fugacement, mais dont l'horreur supplante rapidement le faible parfum humoristique. Il y a ainsi une tête qui explose de l'intérieur qui ne prête pas à rire, au vu des dégâts. le dessinateur joue également sur la quantité de sang s'écoulant des blessures, d'un niveau réaliste pour accentuer l'idée de chair tranchée, à une quantité improbable pour passer dans un registre plus expressionniste pouvant aller jusqu'à l'écoeurement du lecteur.

Le récit ne se limite pas à une suite de séquence gore ou sanglante, et les qualités graphiques de Mike Henderson s'expriment également dans d'autres séquences. La case dans laquelle Alice se souvient de la lame du Boucher la transperçant est aussi soudaine qu'efficace. Dans un registre totalement différent, le lecteur sourit devant le petit pas de danse en 3 cases esquissé par Edward Warren en sortant du bureau du FBI de Portland. Il est difficile de résister au charme de l'assurance de la Blonde dans ses postures. L'affrontement dans les bois contre le Boucher est mis en scène avec un souci de faire comprendre au lecteur les déplacements respectifs des personnages. Lorsque la séquence le justifie, Henderson conçoit une mise en page qui sort de l'ordinaire. Il en va ainsi par exemple de la discussion entre la Blonde et Shannon Crane, construite sur un page comprenant 4 bandes de 3 cases, celle de gauche avec le buste de la Blonde, celle de droite avec le buste de Shannon Crane, et celle du milieu avec le sujet qu'elles évoquent. Enfin, Mike Henderson réussit à composer des images réellement effrayantes, malgré leur nature parfois conventionnelle, que ce soit le Boucher progressant dans un égout, ou le Maître assis sur un fauteuil fait de bras arraché, dont la forme évoque celle d'un trône célèbre composé d'épées.

Au fur et à mesure de sa découverte de ces épisodes, le lecteur sent qu'il retrouve sa confiance dans les auteurs et que son plaisir de lecture lui revient intact, sans crainte que le récit fasse Pschitt ! Il se produit également un autre phénomène inattendu. Alors que jusqu'alors le récit reposait essentiellement sur un jeu avec les conventions associées au sous-sous-sous-genre des tueurs en série, les auteurs font passer l'impression que n'importe qui pourrait être poussé à bout au point de vouloir se débarrasser sadiquement d'un casse-pied. Il y a alors un commentaire sur la nature humaine, conciliante et compréhensive la plupart du temps, mais parfois le naturel revient au galop. le lecteur éprouve alors un frisson d'une autre nature, que celui qui consiste à s'effrayer de meurtres immondes commis par des personnages de papier.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}