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Critique de brumaire


" [....] Grâce à la création de conditions où la conscience n'est plus d'aucun secours , où bien faire devient radicalement impossible, la complicité consciemment organisée de tous les hommes dans les crimes des régimes totalitaires s'étend aux victimes et prend ainsi un caractère vraiment total. "
Cette phrase de Hannah Arendt , retranscrite par Zhu Xiao-Mei dans son autobiographie , s'accorde remarquablement au destin de la pianiste chinoise.
Née en 1949 dans une famille cultivée de Shanghaï elle montre très tôt de bonnes dispositions pour la musique. Dans n'importe quel autre pays elle aurait pu suivre un cursus sans histoire et finir diplômée d'un conservatoire quelconque. Elle aurait alors commencé une carrière classique par le parcours obligé de tout concertiste : concours internationaux , masterclass à l'étranger avec de grands aînés, engagements pour des concerts, gravure de disques.....Mais la Chine n'est pas un pays comme les autres , surtout à cette époque . Les communistes ont désormais pris le pouvoir à l'issue d'une guerre civile implacable. Tout est censé venir du peuple et aller au peuple. Or non seulement la musique dite "classique" est déconsidérée car venant de l'Occident honni, mais plus grave encore, Zhu Xiao-Mei est porteuse d'une tare rédhibitoire : elle est d'ascendance bourgeoise !
Qu' à cela ne tienne , elle s'efforcera d'effacer cette tâche en devenant une militante parfaite : s'ensuivent des séances d'autocritiques avilissantes , seul moyen d'après le Parti de laver son ascendance impure. Mais cela ne suffit pas au Moloch communiste. Il faudra désormais qu'elle prenne une part active au "crime" en dénonçant chez ses amis toute velléité bourgeoise, toute déviation des commandements du Petit Livre Rouge. Et bien sûr ce n'est jamais assez. La "faute" des parents est implacablement rejetée sur leurs descendants. Ce qui est pour le moins paradoxal pour une idéologie qui se réclame du marxisme....
S'enchaînent alors vexations et humiliations qui culmineront au moment de la Révolution Culturelle initiée par Mao pour garder le pouvoir et dont sa femme, Jiang Qing sera la grande manipulatrice.
Zhu Xiao-Mei est exilée dans un camp de travail pour y être rééduquée. Pendant cinq longues années elle travaillera dans les champs avec ses autres compagnons. Pendant cinq ans elle ne jouera aucune musique. le travail harassant ne suffisant pas à formater les cerveaux il lui sera demander de se livrer à de nombreuses autocritiques et de dénoncer chez ses compagnes de misère tout manquement au crédo maoïste.
La phrase de Hannah Arendt citée plus haut prenant alors toute sa signification. Victimes et bourreaux liés par la même complicité organisée par le Pouvoir.

A la mort de Mao et à la chute de Jiang Qin les camps se vident lentement. Xiao-Mei retrouve ses parents à Pékin. La vie est toujours difficile et l'avenir incertain. Une suite d'heureux concours de circonstances vont permettre à notre musicienne d'obtenir un visa pour les Etats-Unis où elle pourra poursuivre ses études dans des écoles prestigieuses. Elle a alors 31 ans, un âge où de nombreux pianistes ont déjà acquis la notoriété.
Son expérience des USA lui a laissé un goût amer. Certes elle a étudié quelque temps avec un grand pédagogue bostonien, Gabriel Chodos, et s'est fait des amis dévoués, mais là-bas tout se paye. Elle a dû faire un tas de petits boulots pour payer ses études et se loger , handicapée par sa mauvaise maîtrise de l'anglais.
C'est donc un peu , certainement, pour ces raisons et d'autres plus sentimentales (le prestige culturel de la France n'est pas un vain mot) que Xiao-Mei choisit notre pays pour s'y perfectionner et comme lieu de résidence.
Arrivée en 1984 elle est dans un premier temps aussi désemparée qu'aux USA, mais grâce à une indéfectible chaîne d'amis et au système D français elle deviendra la merveilleuse pianiste que nous connaissons aujourd'hui.
Certes tout ne fut pas rose : elle connut les files d'attente de 8 heures à l'OFFPRA pour le renouvèlement de son titre de séjour (une honte pour notre pays ces queues ! ) , et son premier éditeur fit faillite quelques jours avant la sortie de son premier CD consacré à Bach.
En 1991 elle obtint enfin la nationalité française.

Le livre de Zhu Xiao-Mei (écrit avec son ami Michel Mollard) s'intitule "La Rivière et son secret" , un titre qui présagerait plus un roman de Danielle Steel qu'une autobiographie de musicien. Il faut alors remarquer que rivière est écrit avec un R majuscule. Et rivière, ruisseau dans la langue de Goethe se dit Bach.
Car on ne peut faire l'impasse sur l'importance de la musique de Jean Sébastien Bach dans la destinée de Xiao-Mei.
Même si elle connaissait certaines de ses oeuvres ce n'est qu'en exil qu'elle entreprit d'approfondir la science musicale du compositeur allemand, la confrontant régulièrement aux enseignements du grand Lao Tseu.
A cet égard la découverte des Variations Goldberg lui fut une révélation qui marquera sa vision de l'existence.
Les Variations Goldberg (écrites pour soigner les insomnies du comte Keyserling...) ne peuvent se comparer à aucune autre oeuvre de la musique occidentale. Alors que toutes suivent la flèche du temps, les Variations , au bout d'un parcours de trente variations, reviennent au thème du début, une aria que l'on retrouve apparemment identique à la fin de l'oeuvre. Cette forme cyclique ne pouvait que s'accorder avec le taoïsme , "religion" chinoise par excellence.
Pour terminer cette note trop longue, je ne saurais trop vous inviter à écouter cette oeuvre de JS Bach. Dans l'interprétation de Xiao-Mei , bien sûr , que l'on trouve sur YouTube , mais aussi dans l'interprétation de Gould et , pour moi insurpassable de Murray Perahia. A noter que sur You tube vous trouverez deux versions des Variations par Zhu Xiao-Mei : une gravée chez Harmonia Mundi et l'autre en "live". C'est celle "live" qu'il faut écouter malgré quelques fausses notes. S'en dégage une émotion d'autant plus poignante. Car sachez le (là c'est juste une information pour les Babéliens peu au fait de la musique "classique" ) , Zhu Xiao-Mei c'est l'anti Lang Lang (voir Wikipedia :-) , c'est aussi l'anti Kathia Buniatishvili , cette superbe pianiste (la Beyoncé du piano ! ) géorgienne (mais maintenant aussi française) . Ce n'est pas Xiao-Mei qui jetterait à la foule de ses admirateurs sa serviette ayant servi à éponger sa sueur, ou jouant à l'ouverture d'une coupe du monde de foot comme Lang Lang.....
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