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Critique de gerardmuller


La rivière et son secret /Zhu Xiao Mei
C'est bouleversé, muet et comme anéanti que je sors de cette lecture du magnifique livre de la célèbre pianiste Zhu Xiao Mei. Un témoignage émouvant, déchirant et inoubliable comme le furent ses jours de douleur durant l'enfermement en camp de rééducation, broyée par la Révolution culturelle chinoise sous le règne de Mao. Mais sauvée in fine par la musique ! Quelle délicatesse pour nous faire partager l'histoire de ce destin incroyable ! Naturalisée française depuis 2001, elle a écrit son livre, publié en 2013, en français, notre langue qu'elle a commencé d'apprendre à l'âge de 35 ans. Admirable personne, une vie hors du commun, une femme d'exception ! Et que dire de la belle série de photos touchantes de Zhu Xiao Mei, de sa famille et de ses amis qui clôt ce récit de près de 400 pages !
Personnellement, j'ai découvert l'existence de Zhu Xiao Mei lorsque je me suis intéressé aux différentes interprétations des Variations Goldberg de J. S. Bach, que je collectionne, cette oeuvre étant pour moi comme pour beaucoup le chef d'oeuvre absolu pour clavier. Après l'avoir écoutée puis vue, j'ai été absolument séduit par son jeu, toucher et art des nuances.
Son livre à présent.
D'entrée, Zhu Xiao Mei écrit : « J'ai longtemps pensé que je n'avais pas de raisons particulières d'écrire – n'est - ce pas avec la musique que je m'exprime. » Et puis : « …Et j'ai eu envie d'écrire ! Pour pouvoir raconter ce qu'est la chance d'avoir vécu en Chine et en Occident, dans trois pays différent (Chine, USA, France) et mélanger les cultures, les faire dialoguer. »
le livre comporte 30 chapitres, autant que de variations Goldberg, avec une aria en ouverture et en clôture.
Xiao Mei est née en 1949 à Shangaï. En 1950, la famille déménage vers Pékin, la mère de Xiao Mei étant nommée professeur de musique dans une école primaire. À l'âge de trois ans, Xiao Mei découvre un piano dans la maison de 50 mètres carrés pour 7 personnes (car elle a 4 soeurs), mais ne sait ce que c'est. Elle a pourtant le sentiment qu'il est là pour elle. le premier morceau que Xiao Mei entend joué par sa mère, et elle ne l'oubliera jamais, c'est la célèbre Rêverie de Schumann. À partir de ce jour, la mère comprend ce que sa fille a en tête et Xiao Mei n'a plus qu'un rêve, jouer de cet ami qui fait partie de la famille, un instrument qui a été le cadeau de mariage offert par les parents de sa mère. Sa mère la met donc au piano, et très vite l'enfant joue remarquablement ses gammes et les exercices de Czerny malgré ses petites mains.
Xiao Mei regarde le piano comme si c'était une personne et quand la musique s'élève sous ses doigts, il lui semble qu'il chante, qu'il lui dit quelque chose ; quand elle le touche, il lui répond.
En grandissant, elle se dit qu'elle est une Chinoise étrange, émue par la musique occidentale de Schumann alors qu'elle s'endort à l'opéra de Pékin ! Elle a six ans et elle passe son premier examen d'entrée à l'École de musique pour enfants, antichambre du Conservatoire. La discipline y est terrible et veille à ce que tout individualisme recule et que l'esprit du communisme entre bien dans les petites têtes. Séances d'autocritique et de dénonciations se succèdent tous les samedis. Sa famille est dans le collimateur des autorités car ses parents ne ressemblent pas aux bons révolutionnaires des livres net des affiches officielles. Ils passent pour des bourgeois.
En 1957, la petite Xiao Mei est déjà sollicitée pour donner des concerts, à la radio puis à la télévision, avant d'accéder au Palais impérial de Pékin. Trois ans plus tard, c‘est l'entrée en interne au Conservatoire de Pékin., où le rythme de travail est épuisant.
1960 et années suivantes : les années de l'horreur : vingt millions de chinois meurent de faim victimes de la folie de Mao.
Xiao Mei découvre Bach et Mozart avec des professeurs remarquables. Elle a bientôt 14 ans et donne ses premiers récitals avec au programme Beethoven, Mozart et Chopin.
Mais arrive les méfaits de la Révolution culturelle et tous les jeunes instruits sont envoyés à la campagne pour changer en profondeur leur mentalité. Une cure de rééducation ! Il est proclamé que la Chine nouvelle ne peut se bâtir que si les enfants de mauvaise origine (dont Xiao Mei) renient leurs parents. 1964 : la musique classique est déclarée bourgeoise, elle n'a pas été écrite pour le peuple. Chaque jeune doit devenir un soldat révolutionnaire et au Conservatoire on ne jouera plus de musique classique occidentale. C'est la période des Gardes Rouges, qui sont partout.
40 ans plus tard, Xiao Mei se revoit telle qu'elle était devenue : une créature sans cerveau conçue pour un seul but, être comme les autres.
1967 : à la campagne ce sont les travaux forcés et cela va durer cinq ans, cinq longues années de camp avant que naissent le doute et la lucidité et qu'un sentiment de révolte se profile pour fuir les séances d'autocritique et de dénonciation. La liberté et des désirs d'évasion deviennent une obsession.
Hiver 1974 : cela fait cinq ans que Xiao Mei est internée. Ce n'est qu'au cours de 1975, libérée, qu'elle reçoit une affectation à l'école du ballet de Pékin. Elle apprend discrètement l'anglais car elle a des projets en tête.
En 1977, le Conservatoire de Pékin rouvre ses portes mais Xiao Mei veut fuir, partir pour toujours. Elle obtient un visa pour les USA en 1980. C'est l'arrivée à Los Angeles. Elle a 31 ans et la Révolution culturelle lui a pris sa jeunesse.
Elle découvre Lao Tseu et se fait à l'idée que le renoncement aux vanités est la voie de la sagesse. Ses journées désormais sont rythmées par deux grands moment de bonheur, le premier est sa méditation quotidienne avec le tao en tonalité, le second est sa méditation au piano.
Puis elle rêve de Paris, ne parvenant pas à se faire à la vie américaine. Elle débarque en France en décembre 1984. Et c'est là qu'elle va faire la rencontre musicale de sa vie : les Variations Goldberg de J. S. Bach.
Extrait : « Mais ce que je sais , c'est que j'ai fait la rencontre musicale de ma vie . Les Variations Goldberg remplissent désormais toute mon existence . Il y a tout , dans cette musique , elle suffit à vivre . La première variation me donne du courage . Je souris dans la dixième , humoristique , chante dans la treizième dont la ligne musicale m'apaise comme aucune musique avant , danse dans la vingt - quatrième avec son rythme de polonaise , je médite dans les quinzième et vingt - cinquième , deux des trois variations en mineur , qui m'émeuvent aux larmes . »
Pour Xiao Mei, Bach est universel et les lignes musicales entremêlées du contrepoint de Bach la renvoient à l'art de la calligraphie , un art typiquement chinois qui est avant tout un art de la respiration et de la méditation .
Extrait : « Les Goldberg ont cela de particulier qu'elles convoquent toutes les émotions , tous les sentiments de la vie humaine : c'est en cela qu'elles constituent un des plus grands chefs - d'oeuvre de l'humanité et qu'elles parlent tant au public . Dans cette oeuvre , c'est la vie même , dans ses composantes infinies , que Bach a mise en musique . »
Xiao Mei s'installe dans un petit et modeste appartement quai Conti à l'automne 1988 : elle est chez elle, c'est la première fois de sa vie que cela lui arrive ! 1989 : elle connait son premier succès public lors d'un concert à 40 ans en l'église Saint Julien le Pauvre. Elle enregistre en 1990 les Goldberg pour son premier disque.
1994 : l'heure va sonner de ses vrais débuts parisiens. Puis il y aura le voyage à Leipzig, ville natale de Bach, l'enregistrement des Variations Goldberg dans l'église Saint Thomas où se trouve la sépulture du compositeur mort en 1750.
Dans les derniers chapitres, Zhu Xiao Mei revient sur les pires moment de son existence : « La Révolution culturelle m'a salie , elle a fait de moi une coupable . À un moment donné , elle a même tué en moi le sens moral . J'ai critiqué mes semblables , je les ai méprisés , accusés de fautes graves , j'ai enquêté sur leur passé , pris part activement à un processus de destruction collective . Comment effacer cette tache ? »
Et plus loin sur sa philosophie de la vie : « La religion chrétienne , qui me touche tant par ailleurs , a ce défaut de vouloir convertir , étendre son influence . L'idée même est étrangère aux Chinois . Bouddhistes , taoïstes et confucéens , ceux - ci pratiquent des religions qui sont plutôt des philosophies ; ils n'ont pas connu l'équivalent des guerres de religion et la pensée qu'une religion à elle seule pourrait détenir la vérité leur est incompréhensible . »
En 2006, Xiao Mei reverra Pékin et sa famille après 26 années d'absence…
Et sa belle conclusion : « Je doute , j'ai peur des autres , de moi , et je ressens avec violence mon impuissance , mon incapacité à atteindre la perfection . Mais le matin , je sais qu'il est là , dans la pièce à côté , il m'attend . Il est une promesse de bonheur toujours tenue . Mon piano . »
Aujourd'hui, Xiao-Mei est célébrée dans le monde entier comme une pianiste virtuose et une immense artiste.









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