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Critique de Seijoliver


« La question de la pauvreté n'est pas celle de celui qui est pauvre, mais celle de la société » (p. 247).
Le Japon est un pays à multiples facettes. le risque est grand de n'en voir, simplement, superficiellement, que ce qui est visible, que ce qu'en propose par exemple le soft power à la japonaise, le cool Japan. Mais le Japon, troisième économie mondiale, compte par exemple, beaucoup d'enfants pauvres. Selon les dernières statistiques disponibles (2014), le pays connaît le plus fort taux de pauvreté des familles monoparentales parmi les pays du G7 !

« Contre la pauvreté au Japon » est un livre remarquable et passionnant. Un livre de militant et d'humaniste, dont les réflexions et les solutions sont nourries de son activité de travail social.
Il a été écrit il y a plus de dix ans, et il est donc nécessaire de se retourner sur l'histoire contemporaine japonaise : les années 1990, la décennie perdue, sont des années de marasme économique et marquent « le retour » du terme pauvreté dans les médias et tout simplement dans le réel de la société nippone. le Japon, l'une des première puissances économiques mondiales a vécu « dans l'illusion d'une société égalitaire » (avant-propos de Mélanie Hours) et les crises économiques qui continuent de se succéder ont rendu de plus en plus visibles les chômeurs, les sans-abri, les freeters, et aujourd'hui la pauvreté infantile.
Dans sa préface, l'auteur Yuasa Makoto rappelle le déni, l'aveuglement de la société et des gouvernements successifs japonais : « la pauvreté commençait à se répandre… [ ] Mais ce qui était évident pour moi ne l'était pas du tout pour la société japonaise ». Longtemps d'ailleurs il n'y a eu aucune statistique à ce sujet.
Toute son action militante de travailleur social aura été « de lutter contre l'indifférence dans la société japonaise ».

Dans son livre Yuasa Makoto raconte et explique, à travers de nombreux exemples, ce qui est bien plus, un problème structurel (précarisation de l'emploi, temps partiel et bas salaire) que de simples problèmes individuels. Il dénonce aussi les manquements des politiques qui refusent par idéologie de s'occuper de la pauvreté qui pour eux n'est pas un problème (p.125). Et l'auteur d'énoncer qu'il faut pour son pays repartir de zéro pour aborder réellement ce qui est un problème !
L'auteur est un militant, un activiste. Dès les années 90, il agit dans la rue auprès des sans-abri avant de participer en 2001 à la création de l'association Moyai, dont l'activité « se déroule autour de deux axes principaux. D'un côté, trouver un logement et apporter une garantir solidaire à des personnes sans domicile fixe. Et de l'autre, écouter, en consultation, ceux et celles qui éprouvent des difficultés pour vivre » (p. 156).
Les nombreux témoignages rapportés dans le livre proviennent du terrain. C'est ainsi que la première partie de l'ouvrage s'appelle : sur le terrain de la pauvreté.
Yuasa y décrit ce qu'il dénomme une société toboggan : « il suffit de glisser un peu par inadvertance, pour ne pouvoir se raccrocher à quoi que ce soit » (p.55) car le filet de sécurité ne fonctionne plus. Celui- ci comprenait trois niveaux : l'emploi, la Sécurité Sociale et les aides sociales. Or les emplois ont complètement changé de nature (privatisation des entreprises publiques, politique de dérégularisation) et les entreprises utilisent de plus en plus de travailleurs non réguliers (contrat court, cdd, temps partiel, intérim). Bien que la loi l'impose, de nombreuses entreprises n'affilient pas les salariés à l'assurance-chômage et santé. Enfin, l'attribution de la Protection Vitale (aides à la vie quotidienne) fait face à des opérations de blocage des administrations.
Les personnes qui échappent à ces trois filets tombent dans la pauvreté. L'une des images assez connue, est celle des personnes qui bien que travaillant dorment dans les cybercafés faute de pouvoir payer un logement.
Yuasa s'attache aussi à démontrer la reproduction générationnelle de la pauvreté et surtout que celle-ci ne relève pas de la responsabilité individuelle. Les clichés et autres préjugés sur « les fraudeurs à la sécu », « ceux qui ne font rien pour s'en sortir », « ils sont faibles, peu fiables, n'arrivent pas à se gérer, or ils ont le choix » etc sont universels malheureusement ! Pour lui l'état-providence n'assume pas ses fonctions. Toujours dans cette première partie l'auteur convoque le travail de l'économiste indien Amartya Sen et théorise ce qu'il nomme des tame. Ce sont en quelque sorte des « réserves » (concrètes – de l'argent – ou pas – relationnelle, psychologique) : « Le tame remplit un rôle de coussin, ou amortisseur, permettant d'absorber certains chocs externes, tout en servant également lui-même de source à laquelle celui qui en bénéficie peut puiser diverses énergies » (p. 105).

La deuxième partie du livre a pour titre, l'anti-pauvreté.
L'auteur y raconte notamment les débats parlementaires sur la révision – par le bas, c'était l'objectif des politiques libérales ! - du système de protection sociale, et le combat pour s'y opposer. Il raconte surtout les combats menés (tant juridique, depuis que des avocats se mobilisent, qu'associatif) ainsi que la nécessaire mutualisation des actions (action syndicale pour défendre les travailleurs intérimaires ; s'opposer au business de la pauvreté ; création d'un réseau d'entraide anti-pauvreté).

Dix ans plus tard.
En 2007, Yuasa Makoto et son association ont contribué à la création d'un réseau anti-pauvreté. Aujourd'hui le nombre de travailleurs précaires a doublé entre 1995 et 2018 : ils représentent plus de 37 % des salariés. L'attention est surtout tournée vers la pauvreté infantile, et notamment sur le mouvement de solidarité des cantines pour enfants (kodomo shokûdo).
Mais le combat continue…
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