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Critique de Apoapo


Le présent essai est né d'une mission de santé publique commanditée à l'auteur en janvier 1995 par Simone Veil et Philippe Douste-Blazy, ministres des Affaires sociales et délégué à la Santé respectivement, partant du constat « que l'on prescrivait en France deux à quatre fois plus de médicaments psychotropes que partout ailleurs en Europe ». Il semblerait que cette situation persiste et qu'aucune des préconisations faites par l'auteur – succinctement citées dans le chap. conclusif : « Un meilleur usage des médicaments psychotropes » – n'ait été mise en oeuvre. La raison fondamentale peut se résumer en termes de la prévalence de la logique du profit qui anime l'industrie pharmaceutique sur la logique de santé publique, dans un contexte de manque de formation psychopathologique chez les professionnels de santé, de désinformation aux différents niveaux de l'information médicale liée à des conflits d'intérêts, ainsi que de psychiatrisation des malaises sociaux dans le double but du contrôle social et de l'expansion du marché des psychotropes. Certaines données de nature culturelle, telles des attentes relatives au rôle du praticien – comme prescripteur de molécules –, telle la sémantique des concepts de « dépression » et d'« anxiété » dépendant de la subjectivité du patient dans des circonstances où le diagnostic ne peut se baser sur les mêmes éléments objectifs que les maladies somatiques, telle la minoration de la pharmacovigilance (effets secondaires d'ordres cognitifs et comportementaux, addictions, etc.) devant le péril du suicide, et enfin la méfiance à l'égard des « médecines alternatives » (y compris de la phytothérapie), comparativement avec d'autres pays, aggravent cette anomalie française. Certains pays limitrophes ont pris des mesures législatives ou réglementaires qui ont eu plus ou moins de conséquences sur la prescription de psychotropes. Mais il est clair que la critique fondamentale émise dans cet ouvrage dépasse la spécificité nationale, pour rejoindre des objections bien connues désormais en psychiatrie : les problèmes de diagnostic par les manuels DSM ; les abus de la même nature que le scandale de la Ritaline utilisée pour traiter les troubles de l'attention chez les enfants et les adultes aux États-Unis ; et même les politiques de lutte contre les stupéfiants illégaux qui conduisent aux usages détournés des psychotropes légaux à des fins toxicomaniaques à large échelle (et très difficilement documentés) : ces trois points sont moins particulièrement abordés dans cet ouvrage, mais néanmoins évoqués transversalement.
La nature de l'étude est telle que la démonstration entre dans des détails – notamment quantitatifs – probablement périmés depuis 30 ans ; peut-être les molécules elles-mêmes ont évolué sinon les catégories pharmaceutiques – tranquillisants, hypnotiques, neuroleptiques, antidépresseurs ; sinon les molécules, peut-être la proportion entre antidépresseurs IRS et tricycliques, ou bien leurs prix et la part qu'ils représentent dans les frais de prise en charge par les différents systèmes de Sécurité sociale en Europe. Ces détails sont rébarbatifs pour le public non spécialiste ; mais la question posée, dans toute sa spécificité mais aussi dans la gravité de ses répercussions (va-t-on vers une société d'addictés volontaires aux psychopilules?), porte en elle la nécessité d'interrogations bien plus vastes et profondes, de nature sociologique et politique sur la contradiction entre la logique du profit et la santé psychique de la population, et la manière de la préserver.
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