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Critique de PhilippeCastellain


Il y a certains films qu'on n'a jamais vu, mais on en a eu tellement les oreilles rebattues qu'on a aucune envie de les voir. C'est ce que je ressentais pour Zola ; mais j'ai voulu finalement combler mes manques, et j'ai bien fait. La facilité de lecture et la fluidité de l'oeuvre sont étonnantes ; difficile de lâcher le livre quand on le tient. Mais au-delà, c'est à la fois sa grande complexité et sa simplicité qui impressionnent. Zola peint l'âme humaine, parfois à grands traits, parfois par minuscules touches. Il me parait vain de voir en lui un idéologue, de lui prêter des intentions politiques, une attaque contre le capitalisme ou un appel révolutionnaire. Si son héros peut se griser de tels mots, pour lui il n'y a là que des êtres humains avec leurs faiblesses, leur lâcheté, leur bêtise surtout, mais parfois aussi leur grandeur.

Du reste, à la fin les rôles secondaires symboliques s'inversent. L'anarchiste Souvarine, le pur, l'intransigeant, celui à qui Zola semblait manifester le plus de sympathie, se transforme soudain en bourreau, causant la mort de ses camarades pour une chimère et s'en allant sans un regard en arrière. A l'inverse l'ingénieur Négrel, l'opportuniste en voie d'ascension sociale, le débauché couchant avec sa tante, met toutes ses forces à sauver les mineurs prisonniers. Et Zacharie, le bon à rien égoïste qui ne voyait la grève et le combat de ses camarades que comme une bonne occasion de s'amuser, travaille jour et nuit pour sauver sa soeur et prend une dimension presque christique. Catherine conserve son statut d'éternelle victime, et Etienne ses aspirations de petit chef.

Mais ‘Germinal' n'est pas le seul ouvrage sur la condition ouvrière, et un autre point frappe : comparés aux ouvriers des usines textiles de Manchester de ‘Nord et sud' ou ‘Mary Barton'… Ceux de Zola font figure de privilégiés. Ils bénéficient de logements et de charbon à moindre frais ; les légumes frais, le café ou la charcuterie, qui chez leurs homologues anglais font partie des produits de luxe, sont chez eux d'usage courant. On mesure le chemin parcouru dans la trentaine d'années qui séparent les deux oeuvres – d'ailleurs la chute de la mortalité infantile est impressionnante. Une famille ouvrière comme celle des Maheu, avec tous ses sept enfants en vie, n'est pas imaginable dans la cité anglaise.

En revanche, par rapport à ‘Qu'elle était verte ma vallée', autre livre de référence sur les mineurs de charbon, c'est dans les moeurs que la différence est frappante. Quand Zola insiste sur la sexualité très libre (voir débridée) des ouvriers, chez les Gallois une escapade nocturne peut déclencher une guerre entre deux villages – autant dire que leurs homologues français leurs paraitraient sûrement comme des dégénérés. Sur ce sujet, deux choses surprennent : l'approche très crue de Zola, et son malthusianisme évident. On peut d'ailleurs se demander si là n'est pas la véritable solution qu'il voit pour améliorer le sort des mineurs.

En effet la conclusion de l'oeuvre, célèbre, a généralement été interprétée comme l'annonce de la victoire finale des ouvriers. Mais je vois une autre possibilité : ce ne sont que les rêves d'Etienne Lantier, et tout ce qu'ils annoncent, c'est un éternel recommencement. La grève a échoué. L'International a échoué. L'anarchisme a échoué. La fureur aveugle a échoué. Tout le monde s'est résigné, le travail a repris. La colère des ouvriers se remettra à grossir lentement, de nouveaux prophètes se lèveront, des petits chefs essayeront de s'imposer ; la colère finira par exploser, aveugle, sans plan ni but ; elle fera des dégâts, sera réprimée… Et le cycle recommencera. Une seule chose peut permettre d'en sortir : l'éducation.

Le vieux rêve des intellectuels français, en quelque sorte :
‘'Un beau jour

Les hommes qui fabriquent mangeront à leur faim [..]

Un beau jour

Les hommes qui fabriquent dormiront leur content

et ils auront de beaux rêves

de belles amours

et des draps blancs [..]

Parce qu'un jour

les hommes qui fabriquent

connaîtront enfin la musique.''

Jacques Prévert
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