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Critique de Lucilou


Je suis de ces lectrices qui n'hésitent pas à relire les livres qu'elles ont aimé. C'est un plaisir que je ne sais pas me refuser et qui repousse parfois la découverte d'oeuvres encore inconnues... Je relis par amour souvent, par esprit d'analyse parfois et il est des romans que j'ai usé à force de relectures... J'ai aimé "La Terre", je l'ai lu d'une traite sans coup férir, happée par sa puissance, sa violence, par son audace et surtout par ses personnages. Ils sont deux, non trois auxquels je me suis attachée, trois qui m'ont bouleversée même. J'ai aimé "La Terre", qui est pour moi l'un des meilleurs volumes de la saga des Rougon-Macquart mais je crois que ce Zola-ci, je ne le relirai pas. A sa puissance de soir d'orage, il arbore la cruauté d'un désert sans oasis. Il frappe, il donne des coups ce roman et quand on se relève, c'est pour en prendre d'autres.
Comme le titre le laisse penser, les acteurs du drame sont des paysans et le moins qu'on puisse dire, c'est que nous sommes à des lieues des propriétés fleuries et bucoliques, des amours tendres et lumineuses qu'on peut trouver dans les romans champêtres d'une George Sand... Rognes est un village de la Beauce dont la population comprend essentiellement des paysans plus ou moins fortunés... S'il est un plan sur lequel tous sont égaux, c'est celui de l'amour fou, violent, possessif qui les unit à leurs terres, à leurs champs dont ils arrachent les fruits à la sueur de leurs fronts. Louis Fouan et sa femme ont vieilli et usé leur jeunesse à cultiver leur lopin de terre. Fatigués, cassés, harassés, ils se décident enfin à prendre du repos et se résignent à partager leur bien entre leur trois enfants. Il y a Hyacinthe , alcoolique notoire et paresseux en diable; Fanny, une femme pragmatique qui ne s'en laissera pas conter et Buteau, un viveur violent et manipulateur... Un rien séducteur aussi. Dans la famille, il faut aussi compter sur la grande soeur de Fouan, vieille femme sèche et acariâtre et de jeunes et jolies cousines: Lise, à qui Buteau a fait un enfant, et Françoise. Le partage des terres entraîne la discorde dans la fratrie et les frères et sœur n'auront de cesse de se déchirer pour en obtenir la meilleure part. Jean Macquart est étranger à ce monde et, suite à la débâcle de 1870, il s'est fait engager comme valet dans une riche ferme voisine. Il assiste en spectateur à cette bataille âpre pour la terre à laquelle il finira par prendre part, de loin, passif, poussé par son amour pour la petite Françoise.
Sauf que l'amour n'a pas droit de cité dans ce monde là, quelque soit sa place et la seule passion qui compte c'est celle de la terre qu'on domine autant qu'on en est l'esclave. Ce qui compte, c'est la possession, la richesse qu'elle entraîne mais dont on ne profite pas. Ce qui compte, c'est d'arracher sa subsistance aux champs quitte à se déchirer, à violer, à hurler, à s'arracher les ongles et à souffrir. A tuer.
A cet égard Rognes rappelle un peu le village des Artaud où officie Serge Mouret, ce village dont le prêtre dit que Dieu n'y est pas entré et que les hommes y sont encore soumis à leur seul instinct.
Ainsi l'amour de Jean pour Françoise ne mènera nulle part et sûrement pas au bonheur. Il s'étiolera, brûlé par la haine et la cupidité.
Ainsi Fouan sera maltraité, rejeté par chacun de ses enfants et on verra ce vieillard maigre et blanchi s'enivrer par les chemins. On verra même des larmes sillonner son visage buriné.
Ainsi Buteau laissera libre cours à sa bestialité, à son désir de puissance.
Ainsi Lise et Françoise se perdront irrémédiablement.
Et pendant ce temps, le monde change, la culture évolue et il faut se battre encore et encore...
Peinture sans concession du monde paysan et de l'avidité poussée à son paroxysme, roman violent "La Terre" est un orage autant qu'un désert. Un roman sans véritable lumière et qui dit la misère et le désespoir de ceux de la terre, qu'on oublie et qu'on pousse à la fièvre, un chef d'oeuvre absolu.
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