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Critique de berni_29


Je continue de cheminer de manière chronologique dans la saga puissante des Rougon-Macquart et me voici parvenu au quinzième roman, La Terre.
Le personnage principal de cet opus est bien justement la terre, cette terre de la Beauce du XIXème siècle, la terre avec ses semailles et ses moissons, la terre nourricière qui donne la vie et la reprend, la terre et ses entrailles, les plaines immenses de la Beauce dont les paysages d'apparence monotones recèlent ici le meilleur comme le pire...
Ce quinzième opus est sans doute un des plus violents et des plus noirs de la série : l'avidité, la cruauté, le désir de possession, qu'il s'agisse de la terre ou de la sexualité, est le coeur du roman.
C'est aussi un parmi ceux que j'ai préférés.
De ce roman, Zola en a fait un poème vivant de la terre. Il y dépeint l'attachement pour ne pas dire l'amour fusionnel du paysan à cette terre, il en décrit avec justesse ce désir comme une passion, l'envie d'en posséder toujours plus.
Ici Émile Zola déplace son oeuvre des Rougon-Macquart en pleine campagne, alors qu'il nous avait si souvent habitué à l'univers urbain ou industriel, décrivant avec pertinence les affres du monde ouvrier. Mais on est loin ici d'une promenade champêtre.
Dans cette chronique sociale et rurale impitoyable, Zola se lâche totalement et dresse un portrait féroce de la ruralité. À ce titre, ce volume vient cependant composer une pièce logique au puzzle qu'il échafaude dans la continuité de son oeuvre.
Nous découvrons ici le personnage de Jean Macquart, le frère de Gervaise, oui souvenez-vous, l'héroïne malheureuse dans l'Assommoir. Il n'est pas du milieu paysan mais il souhaite s'y insérer, y faire son nid et peut-être plus si affinité...
Tous les ingrédients chers à Zola sont ici présents avec les personnages mis en scène. La mesquinerie de leurs rancunes, la bassesse finaude de leurs intérêts, la grossièreté de leurs vengeances, les rancoeurs qui divisent les familles, les petites ambitions politiques, les petits arrangements à l'échelle d'un conseil municipal quand on est à la fois maire et propriétaire terrien... Sans compter les viols au fond des talus ou des granges... Bref ! Zola nous immerge dans ce microcosme social impitoyable et nous le dépeint avec délectation comme il sait le faire à chaque fois.
On sent même ici déjà la paysannerie locale prête à se lancer dans l'agriculture intensive.
Comment ne pas oublier cette vieille femme paysanne, toute pauvre paysanne avec son petit lopin de terre, celle qu'on surnomme à bon escient Madame Caca et qui vide chaque matin son seau au bord de ses salades qui deviennent grosses comme cela et qui font sa renommée sur les marchés ? Sans pesticide ! Que du naturel ! Je note l'idée pour mon potager.
Jean Macquart est presque le seul personnage « pur » de ce roman, le reste de cette communauté paysanne n'est qu'un marigot de jalousies, d'avidité et de cupidité. À commencer par les membres de la famille Fouan qui se déchirent autour de l'héritage à venir du patriarche pas encore mort mais qui essaie d'arranger les choses auparavant.
Cette fresque rurale est particulièrement réussie et m'a tenu en haleine jusqu'au bout, d'autant plus qu'il y a une intrigue qui porte le récit. Par moments on est suspendu à un brin de fil qui nous amène vers le désir, peut-être une histoire d'amour qui commence, ailleurs à d'autres endroits on voudrait croire à la compassion, on croit espérer, chercher une once d'humanité sur cette terre habitée par des femmes et des hommes. Mais sur cette terre où chaque arpent éloigne les émotions et convoque l'appât du gain, ce sont surtout des femmes et des hommes animés de vices et de volontés malsaines que nous dépeint dans ce récit Zola. Et lorsqu'ils ne sont pas animés de cet état d'esprit, ce sont alors de pauvres victimes que le sort et les ambitions vont écraser...
De nombreux personnages ici sont hauts en couleur. J'ai adoré notamment celui de Jésus-Christ, non pas pour son surnom, non pas pour son alcoolisme touchant et désespéré, mais pour son côté marginal, rebelle à l'idée de travailler, braconnier de profession et s'il y avait une guerre il serait déserteur.
Il y a aussi de la gouaillerie et un passage savoureux et sonore dans une scène irrésistible de pets comme si on y était. Vous voyez, quand je vous disais que Zola est capable de saisir avec réalisme tout un microcosme social...
La Terre de Zola emplit le livre, on sent son odeur à chaque page, on la goûterait presque. Zola nous rappelle que nous descendons tous plus ou moins directement ou indirectement du milieu paysan.
Ce texte vient aussi apporter ici une pièce essentielle dans la construction de cette fresque monumentale des Rougon-Macquart. C'est grand et Zola l'est aussi.
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