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Critique de Nastie92


♬ Jolie bouteille, sacrée bouteille
Veux-tu me laisser tranquille ? ♬
L'Assommoir tient une place toute particulière dans ma vie de lectrice.
J'avais treize ans, ce fut mon premier Zola.
Même si à cet âge-là je ne l'avais pas apprécié à sa juste valeur, j'avais été frappée par ce texte, par sa force et par les émotions qu'il faisait naître.
L'Assommoir, c'est le roman qui m'a ouvert les portes de la littérature.
Quelques années (décennies, en fait !) plus tard, cette relecture fut un bonheur total.
Et pourtant, quelle tristesse, quelle désespérance dans ce roman !
Zola manipule parfaitement son lecteur : il crée des personnages terriblement attachants pour mieux nous toucher lorsque le malheur les frappe et que tout tourne mal pour eux.
Gervaise, honnête, travailleuse, digne, forte et faible à la fois... comment ne pas l'aimer ?
Comment ne pas vouloir que la vie lui sourie ? Elle le mérite tellement !
Et pourtant, Zola ne la ménage pas et lui inflige les pires avanies.
Elle fait toujours les mauvais choix et s'enfonce par paliers successifs. Le lecteur pense qu'elle a touché le fond ? Eh bien, non, elle s'enfonce encore. Jusqu'à la déchéance totale dans tous les domaines.
Zola ne lui épargne rien, Zola n'épargne rien à ses lecteurs. Après avoir tout fait pour leur faire aimer Gervaise, il l'accable de tous les maux, il la piétine, il l'humilie.
C'est une vraie descente aux enfers.
C'est terriblement cruel, d'autant plus que c'est terriblement réaliste. L'enchaînement des faits est d'une logique implacable.
Et s'il n'y avait que Gervaise !
Dans ce roman, Zola a pris un malin plaisir à accumuler les destins tragiques.
Ces véritables "bêtes de somme" comme il les nomme, qui aiment leurs métiers et en sont fiers, mais n'arrivent pas à en vivre dignement. Tout juste arrivent-ils à survivre en travaillant et en se privant de tout. L'impasse sociale dans laquelle ils se trouvent explique tous les mauvais comportements : mensonges, vols, alcoolisme, violence... une fatalité à laquelle personne n'échappe, ou presque.
Et ce qui est profondément triste, c'est de voir qu'ils ne sont même pas solidaires.
Il y a entre eux une jalousie terrible. Une jalousie bien ironique entre ces gens qui n'ont pas grand-chose !
Il y a des cancans à foison, une curiosité malsaine des malheurs qui frappent les autres, un peu comme si leurs infortunes vous consolaient de votre propre misère.
C'est vraiment cruel pour des personnages de toute façon condamnés à être broyés par le destin.
Gervaise essaie de s'élever en ouvrant sa propre boutique... plus dure sera la dégringolade !
Coupeau travaille honnêtement, mais à une époque ou il n'existe pas d'assurance-maladie, pas de couverture en cas d'accident, sa chute du toit provoquera sa chute sociale.
C'est sombre, très sombre, mais au passage, Zola décrit merveilleusement toute une palette de métiers (zingueur, blanchisseuse, cabaretier, forgeron, brunisseuse, cardeuse, chaîniste, etc.) et la vie dans le quartier de la Goutte-d'Or.
Dans le registre des descriptions dans lequel il excelle, Zola nous présente le lavoir, la blanchisserie, la forge, l'atelier de fabrication de chaînes en or : c'est précis, c'est cinématographique, le lecteur "voit" les lieux et les personnes qui y travaillent. Il y a de la vie dans ces pages.
De la vie également dans certaines scènes mémorables, comme la bataille dans le lavoir, la visite du Louvre ou l'anniversaire de Gervaise dans sa boutique.
Lorsque l'on connaît la fin du roman, cette scène est particulièrement douloureuse à lire. Ce repas pantagruélique est le dernier moment heureux de la vie de Gervaise. Celle-ci est à l'apogée de sa réussite et festoie en compagnie de ses voisins. Elle est fière, elle triomphe, mais tout comme le train d'un grand huit arrivé au sommet du circuit, elle est condamnée à redescendre brutalement.
Cette scène (ou plutôt cène, vu ce qu'elle représente) magistrale occupe tout un chapitre, et je l'ai relue deux fois tellement je l'ai trouvée extraordinaire !
Dans tout le roman Zola utilise à merveille tous les registres de langue, passant d'une expression élégante et riche lorsqu'il raconte ou décrit, à un parler cru et fleuri lorsque ses personnages s'expriment. C'est superbement maîtrisé et c'est un régal à lire.
Enfin... un régal qui n'a pas toujours été apprécié à sa juste valeur.
Lors de la parution de L'Assommoir, en feuilleton dans un journal de l'époque, l'auteur essuie les critiques les plus virulentes : sa prose est traitée de "pornographie", de "style qui pue", rien que ça !
Zola mécontente tout le monde : la droite reproche à L'Assommoir son « écoeurante malpropreté » et la gauche l'accuse de salir le peuple, de ne présenter de l'ouvrier que ses mauvais côtés. Victor Hugo s'indigne : « Vous n'avez pas le droit de nudité sur la misère et le malheur. ».
L'auteur se justifiera à diverses reprises, disant qu'il avait écrit « le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l'odeur du peuple » ou que « c'est de la connaissance seule de la vérité que pourra naître un état social meilleur ».
Le journal le petit Gaulois pose la question : "Que voulez-vous qu'on fasse d'un pareil livre ? Que voulez-vous qu'on en pense ?"
Eh bien, cher petit Gaulois, la réponse à ces questions est très simple : premièrement le lire, deuxièmement, du bien, beaucoup de bien !
Oui, si vous ne l'avez pas encore fait, lisez L'Assommoir !
Ce roman va vous remuer en profondeur, à moins que vous ne soyez totalement insensibles.
L'Assommoir est l'un des plus violents, des plus forts, des plus prenants, du cycle des Rougon-Macquart.
L'un des plus émouvants.
L'Assommoir est bouleversant.
Mon amour et mon admiration pour Émile Zola sortent encore grandis de cette relecture qui m'a éblouie.
Quel talent ! Quel travail ! (Oui, je ne dissocie jamais les deux, qui sont indispensable à la création d'un chef-d'oeuvre.)
L'Assommoir est une vraie démonstration de la puissance de la littérature.
C'est un monument.
Un livre inoubliable.
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