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Critique de Sofiert


De l'hôpital psychiatrique où il est enfermé, un homme s'adresse à un destinataire inconnu pour lui raconter son parcours. Cet homme, c'est Diego Martín, professeur d'université, spécialiste de Dostoïevski, qui semble avoir réussi sa vie, épousé une femme remarquable, puis a enlevé, torturé et tué un certain Martín Pierce dans la Casa Grande et a appelé la police.
Il confie alors à cet inconnu : "Oui je suis aussi porté à la colère. Comme mon grand-père, comme mon père."
Déjà l'essentiel est dit: ceci est un roman de pères et de fils, un roman de l'héritage, de la transmission. Même et surtout si on rejette la totalité de cette hérédité.
Mais c'est aussi un roman de riches et de pauvres, de puissants et d'invisibles, de maîtres et d'esclaves. Tout cela dans le chaos de l'histoire du XXe Siècle, de la guerre d'Espagne aux goulags de Sibérie.

À travers deux narrateurs, Diego Martín lui-même à la première personne qui nous raconte sa vision de l'histoire, et un narrateur omniscient qui nous propose l'histoire de la famille à partir du village d'El Pueblo en 1936, Víctor del Arbol nous sert une intrigue où la haine joue l'un de ses plus beaux rôles.
C'est d'abord celle qui oppose la famille Patriota, la famille des propriétaires terriens, à celle d'Alma Virtudes, une famille pauvre qui a osé défier l'autorité par l'intermédiaire du frère anarchiste. Affrontements politiques qui se sont achevés par des trahisons et une pendaison !

Cette haine de classes qu'il faut taire trouve alors à s'exprimer au sein de la famille.
Humiliés, dépendants, marqués par la violence des guerres, les pères extériorisent leurs colères et leurs frustrations en s'en prenant à leur femme et à leurs enfants. Leur violence naît de la haine et de la peur. Comme une malédiction, chaque génération d'hommes va transmettre cette sauvagerie aux fils. Diego est celui qui veut rompre avec cette maladie, qui veut effacer l'image du père en choisissant les livres et la culture.

L'auteur aborde ce destin familial dans son aspect social, mais aussi dans un contexte historique riche qui lui permet de multiplier des bribes de l'histoire de l'Espagne et de ses traumatismes.
Le grand-père Simón est envoyé dans la division Azul, cette division franquiste qui partit combattre les Russes avec les Nazis, puis dans un goulag . Comme chaque soldat, il sera confronté à la mort et à l'obligation de faire des choix. le père sera enrôlé en Afrique du Nord espagnole à l'époque de Franco. Il sera impliqué dans de nombreux traffics et dans la mort d'un enfant dont le fantôme le hante.

Les notes de Victor racontent l'histoire d'une possession.
" Il est là, en moi. On dit que nous sommes identiques, deux gouttes d'eau au même âge. Être ce qu'on rejette, le voir chaque fois qu'on se regarde chaque matin en se rasant, en se lavant les dents, assis sur la cuvette des WC, c'est difficile. le même nez, les mêmes yeux foncés, les mêmes sourcils, la même bouche. Jusqu'à la façon de rire. Soudain, on est devenu son propre père. On est devenu ce qu'on déteste le plus. "

Alors qu'il nous a raconté ses efforts pour échapper à la fatalité, pour ne pas devenir une brute qui maltraite ses enfants, Victor se sent happé par cette ressemblance." Mon père restait en moi comme une malédiction, comme une musique qui n'en finissait jamais. Il était partout, dans tout ce que je faisais, disais, pensais et ressentais. le repousser, c'était me repousser."
Quel meilleur moyen pour se disculper que d'invoquer une emprise quasi démoniaque ?
On avait deviné que Victor n'était pas forcément le plus fiable des narrateurs puisqu'il devait justifier son crime. Cette fatalité incontrôlable pourrait bien représenter un motif d'irresponsabilité, du moins à ses propres yeux.

Cette saga familiale est davantage qu'un thriller. Elle mêle avec brio différentes périodes historiques traumatisantes et traumatismes affectifs. La violence conjugale, la maltraitance, l'inceste et la pauvreté qui peuvent se répéter de générations en générations, laissent des blessures profondes et sans doute inextinguibles.

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