Georges de Scudéry Description de la fameuse fontaine de Vaucluse
La Nymphe endormie
Vous faites trop de bruit, Zéphyre, taisez-vous,
Pour ne pas éveiller la belle qui repose ;
Ruisseau qui murmurez, évitez les cailloux,
Et si le vent se tait, faites la même chose.
Mon cœur, sans respirer, regardons à genoux
Sa bouche de corail, qui n’est qu’à demi close,
Dont l’haleine innocente est un parfum plus doux
Que l’esprit de Jasmin, de Musc, d’Ambre et de Rose.
Ah que ces yeux fermés ont encor d’agrément !
Que ce sein demi-nu s’élève doucement !
Que ce bras négligé nous découvre de charmes !
Ô Dieux elle s’éveille, et l’Amour irrité
Qui dormait auprès d’elle, a déjà pris ses armes,
Pour punir mon audace et ma témérité.
Écoutez donc ma voix, qui parle pour le roi ;
On ne peut l'attaquer, sans s'attaquer à moi ;
Si l'on punit sa faute, il faut qu'on me punisse ;
Si son règne finit, il faut que je finisse ;
Son destin et le mien marchent d'un même pas ;
Bref ses jours sont mes jours, sa mort est mon trépas
Le Printemps
Enfin la belle Aurore, a tant versé de pleurs,
Que l'aimable Printemps nous fait revoir ses charmes ;
Il peint en sa faveur, les herbes et les fleurs,
Et tout ce riche Émail, est l'effet de ses larmes.
Cibèle que l'Hiver accablait de douleurs,
Et qui souffrait des vents les insolents vacarmes ;
Mêle parmi ses Tours, les plus vives couleurs,
Et triomphe à la fin par ces brillantes Armes.
Les Roses et les Lis, d'un merveilleux éclat,
Confondent la blancheur, au beau lustre incarnat ;
La Tulipe changeante, étale sa peinture :
Le Narcisse agréable, à l'Anémone est joint ;
Bref, tout se rajeunit ; tout change en la Nature ;
Mais superbe Philis, mon sort ne change point.
Ô dieux ! En quel état me trouverai-je en ce jour ?
Que dois-je devenir ? Nature, honneur, amour,
Hélas ! Qui de vous trois fera pencher mon âme,
Sans me combler de peine, aussi bien que de blâme ?
Il n'est point d'autre loi, que le vouloir des rois :
C'est de nous qu'elle vient, tous puissants que nous sommes ;
C'est nous qui sommes dieux, qui la donnons aux hommes ;
Mais bien que les mortels la doivent respecter,
Celui qui fuit un joug, ne le doit pas porter.
Raison, dont la voix importune,
Veut s'opposer à ma fortune,
Cesse d'affliger mes esprits :
En vain par tes discours, tu parais si subtile ;
Je ne t'écoute plus, ta peine est inutile ;
Raison, le conseil en est pris.
Depuis le jour fatal que je quittai ma dame.
Un enfer portatif j'ai toujours eu dans l'âme.