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L'homme qui a beaucoup souffert et beaucoup erré est charmé par le souvenir de ses douleurs
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That doesn't matter to me. We've all done things in our lives that we wish we could do over. But you can't undo the past. All you can do is leave it behind.
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le phare et le naufrage seraient donc les deux faces d'une même pièce, Dont Robert Louis Stevenson a choisi d'explorer par la littérature, le côté obscure, alors qu'il était destiné à illuminer les côtes ténébreuses d'Écosse. Chanouga nous aide à comprendre pourquoi Stevenson, peut-être sur l'île d'Erraid, a renoncé au métier des phares, mais pas à leur imaginaire.
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Stevenson voit et entend selon les yeux de l'ingénieur et du gardien de phare. Il serait l'écrivain des côtes barbares, et non de la haute mer, domaine réservé à Conrad, Dana ou Melville.
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D'autres encore, lorsque le garçon s'approche, même de très près, n'ont pas d'odeur. Anir ne saurait dire pourquoi, mais la rencontre avec ces fleurs-là le rend toujours un peu triste. On ne peut pas les prévoir, les fleurs sans odeur, ça arrive, parfois, d'avoir envie de pleurer pour ça.
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Mieux vaut être ivre pour affronter la mort.
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Attendre de l’histoire qu’elle soit juste, c’est trop lui demander : souvent, elle confère action d’éclat et immortalité aux hommes simples, aux hommes moyens, tandis qu’elle rejette dans l’anonymat les meilleurs, les plus intrépides et les plus sages.
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Crois-tu, jeune homme, qu'il n'y a rien d'autre dans les entrailles sous-marine que ce que nous voyons ici-bas ? Non !! La mer c'est comme la terre, mais en bien plus terrible. Dieu miséricordieux, ayez pitié de moi...
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La mer est un tombeau peuplé d'âmes égarées.
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– Et si je le fais, tu seras content, rien ne sera changé, et tu m'aimeras de nouveau ?



– Mais je t'aime. Tu sais bien que je t'aime.



– Je sais. Mais si je le fais, aimeras-tu que je te dise que les choses ressemblent à des éléphants blancs ?
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Elle ne demande pas où se trouvent les poulets car elle sait que le poulet qu'elle veut c'est moi.
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« J’aurais sans doute eu besoin qu’un psychiatre me parle ainsi, à dix-huit ans, au lieu de me prescrire des somnifères. Qu’on me dise que j’étais lucide, au lieu de me faire croire que j’étais folle. J’ai tellement aspiré à être aimée, à devenir un objet que l’on convoite pour me dissoudre dans la brutalité du désir. Alors parfois, c’est justement de percevoir qu’on me désire avec violence qui devient à peine soutenable, tant je sens qu’il serait finalement si simple d’abdiquer, de me laisser glisser dans ses entrailles sombres, et d’être à mon tour découverte, mise à nu, découpée en morceaux, et anéantie. »
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« Je fréquente la bande parce qu’en dehors de la fac, je n’ai rien d’autre à faire et que je m’ennuie dans le HLM blème de mes parents au milieu de ma cité dortoir. Et parce que j’aime bien la compagnie de Figos aussi. Et puis quoi faire d’autre ? Le petit futé de bourge d’urbaniste qui a imaginé la cité où nous vivons n’a prévu aucun bar. Zéro troquet. Dix mille nouveaux habitants et pas un rade ! Cité prolo, qu’ils ont dit. Métro, boulot, dodo. Pas bistro. C’est Figos qui a repéré le nôtre, un soir, en rentrant d’une baston avec des gars de Bagneux. À Châtenay-Malabry. Le Baltimore. »
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Prologue



Jungle



Colombie 2012



L’envol de dizaines d’oiseaux sauvages jusque-là invisibles résonna comme un coup de feu aux oreilles du paresseux. Il se figea, d’une part parce que sa nature indolente ne le poussait pas à la précipitation, d’autre part parce qu’il craignait d’alerter un éventuel prédateur.



Il retint son souffle. L’air poisseux de la forêt tropicale formait des perles qui ruisselaient sur les algues recouvrant sa fourrure camouflage. Elles dégoulinaient sur son front vert d’eau, lui piquant les yeux. Il les essuya d’un geste lent mettant en évidence les trois griffes acérées qui équipaient ses pattes.



Accroché à son tronc d’arbre, le paresseux fixait la frondaison avec un mélange de tension et de colère. Le bruit sourd qui avait fait fuir les oiseaux n’était pas naturel. Il lui rappelait trop les humains. Ces créatures frénétiques qui s’immisçaient partout avec leurs machines infernales.



Le grondement s’intensifia. Le paresseux ferma légèrement les paupières pour aiguiser sa vision face aux rayons du soleil qui perçaient la canopée.



Quelque chose approchait.



Quelque chose d’énorme.



Une déflagration secoua le paysage et, sous les yeux béants du mammifère, les arbres se mirent à s’affaisser, comme arrachés par le souffle titanesque d’un cyclone. Un monstre métallique en surgit, une locomotive folle qui dévalait le ravin dans un vrombissement déchirant, entraînant derrière elle les cinq wagons qu’elle avait fait dérailler du viaduc. Certains se décrochèrent, emportés par leurs tonneaux, d’autres se soulevèrent, grimpant les uns sur les autres comme des mustangs qui se combattent. Les toitures s’arrachèrent en une débâcle informe de tôle déchirée et de débris de verre. De véritables missiles de fer et d’acier furent projetés à des dizaines de mètres dans les airs, s’abattant sans distinction sur tout ce qui entourait l’épave.



Le paresseux descendit de son perchoir aussi vite qu’il pouvait. Mais vite, pour lui, équivalait au ralenti pour tout autre mammifère. Une chute malencontreuse lui sauva la vie car un fragment de métal chaud le manqua de peu. Il effleura sa nuque et alla se planter juste derrière lui, tel un gigantesque hachoir à viande. Les yeux écarquillés par la peur, le paresseux se dégagea des branchages et découvrit l’atroce spectacle.



Tout ce qu’il restait du train, en contrebas du viaduc, était une masse fumante de métal déformé et de bois brûlé. Le déraillement n’avait duré que quelques secondes, mais des secondes pétrifiées, inoubliables.



Il y eut un bref moment de silence, puis la panique s’empara des quelques survivants. Ils se précipitèrent hors des wagons accidentés, brisant pour survivre tous les obstacles qu’ils rencontraient, se brûlant les mains sur des pièces de métal trop chaud, grimpant par-dessus les banquettes éventrées, piétinant ceux qui agonisaient au sol. Les gémissements de douleur ou de chagrin se perdaient dans le tumulte en hurlements inarticulés.



— Au secours ! Sauvez-moi !



Une haleine noire s’exhalait des wagons au ventre ouvert, tandis qu’ils dégueulaient leurs rares rescapés dans la jungle impénétrable. Leurs roues tordues en l’air accentuaient cette impression de Léviathan terrassé. Et, tandis que cette machine agonisante perdait ses entrailles, le paresseux se déplaçait lentement en direction des cris qui laissaient les fuyards indifférents. La respiration du mammifère se fit plus difficile quand il pénétra dans l’épave. Il regarda autour de lui et ne vit que corps mutilés, chairs calcinées. Mais, au fond du wagon, il crut apercevoir une silhouette qui se découpait en ombre chinoise sur l’incendie. L’humain était à moitié nu, ses vêtements en lambeaux. Il avait l’air de bouger mais peut-être était-ce dû à la lumière vacillante qui dansait sur son dos ? Il se retourna et fixa le paresseux de ses yeux clairs, immenses et dépourvus de regard. La moitié de son visage présentait une plaie profonde sur la joue droite. Il n’en restait qu’une surface sanglante qui se mélangeait à
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Pongé dans la pénombre, le salon n’a pas changé. La table basse est encombrée de livres. Il y en a aussi sur la petite console surmontée d’un miroir et sur le fauteuil installé dans le coin, sous la suspension imitant une boule de neige. De part et d’autre du canapé, deux petites lampes de lecture éclairent la pièce d’une faible lumière cuivrée qui se reflète sur les marches vernies de l’escalier conduisant à l’étage, où mon père fait la sieste, et où le parquet grince au-delà de tout ce qu’on peut imaginer.



Ma mère est assise à sa place habituelle, blottie contre l’accoudoir du canapé. Je me dirige vers elle et l’embrasse sur la joue. Sur la table il y a une enveloppe à mon nom.



Je vais dans la cuisine. Je laisse couler l’eau longtemps, mais elle reste tiède. Je me souviens d’une scène datant d’une trentaine d’années : je me tenais au même endroit et ma mère me hurlait à l’oreille ; je m’étais vivement retourné et je l’avais plaquée contre le plan de travail en lui disant de me laisser tranquille. Je remplis d’eau un verre à moutarde et je retourne au salon.



Ma mère me demande si je ne veux pas autre chose à boire, si je n’ai pas faim, je lui souris et lui réponds non. L’enveloppe doit faire deux centimètres d’épaisseur, ma mère est nerveuse, elle pose des questions sur les enfants, veut savoir comment se passe la grossesse de ma femme. Je la rassure : tout va bien, tout le monde va bien, tout le monde va très bien. Je t’ai raconté à quel point j’allais mal quand tu étais petit ? demande-t‑elle. Je lui réponds oui, mais mon “oui” résonne comme si je m’en souvenais à peine.



Elle ne le relève pas. Je t’ai raconté que je tenais un journal, un journal secret, n’est-ce pas ? dit‑elle. Je l’appelais mon journal de nuit. J’y mettais tout ce qu’il y avait de noir en moi. Je ne réponds pas. Je veux que tu l’aies, insiste-t‑elle. Dedans, il y a surtout des choses que j’écrivais à l’attention du Dr Holm, mais que je ne lui ai jamais envoyées. Elle pose la main sur l’enveloppe de manière à cacher mon nom.



— Ah, dis-je.

— Si tu l’acceptes, du moins.

Je la dévisage.

— Sinon, je le brûlerai.

Je lui souris. Elle me rend mon sourire.

— Pourquoi moi ? Pourquoi moi plutôt que les autres ?

— Parce que je pense que tu me comprendras.

— Les autres te comprendront aussi, j’en suis certain.

— Je ne sais pas. Les mères et les filles, c’est compliqué.

Elle pousse l’enveloppe vers moi, mais sans la lâcher.

— Tu peux en faire ce que tu veux. Tu peux le

lire ou pas. Ou t’en servir pour tes livres.

— M’en servir pour mes livres ?

— Oui, si tu veux. Et si tu désires qu’on en parle,

je n’y vois pas d’inconvénient.

Elle ôte sa main de l’enveloppe. Mon nom y est écrit à l’encre de Chine bleue.

— Cache-la dans l’entrée. Il ne faudrait pas que

ton père la découvre quand il redescendra.

Je ne bouge pas. Puis je me penche en avant et prends l’enveloppe.

— Je pense que je ne le lirai pas tout de suite.

— Bon.
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Mon passé est un abyme dont j’ignore le point d’ancrage.



Ce gouffre, je le dois à ma mère qui a fait table rase, préférant le silence bientôt confondu à l’oubli.



Parfois, s’il m’arrivait de l’interroger sur ses origines parce que son nom de naissance était étranger, elle me disait :



— Pour avancer dans la vie, il faut s’appuyer sur le présent et ne pas se retourner. Seul l’avenir compte. Ce nom dont tu me parles, je l’ai oublié à l’instant où je me suis mariée. Ton père, lui, aurait voulu que nous écrivions plutôt ton prénom avec l’orthographe polonaise, mais j’ai refusé. Thomas, ici, c’est mieux.



Je restai bouché bée, sans mots, suspendu à son regard vide autant que surpris par la soudaine neutralité de sa voix. J’attendais alors de la sentir attendrie ou fatiguée pour revenir à la charge. Et mes grands-parents, qui étaient-ils ? Avait-elle une famille, des oncles, des tantes, un frère, une sœur ? Elle me répondait qu’elle m’avait moi, et papa. Le reste était sans importance.



Et s’il m’arrivait de lui demander pourquoi elle n’avait pas eu d’autre enfant, elle se crispait, se levait d’un bond et disparaissait.



Avec le temps, j’avais fini par comprendre que c’était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour ne pas fondre en larmes ou me retourner une gifle.



À l’approche de mes dix-huit ans, l’envie de savoir se transforma en besoin et devint obsessionnelle.
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Je tiens, scellé dans un coffre, le corps en pièces de ma mère. Dissimulés sous une pile de vêtements colorés, à l’abri des regards, du mien surtout, dans un grand sac en papier fort d’une enseigne de luxe, des clichés radiographiques sommeillent. Le corps souffrant ne s’exhibe pas. Dans une fébrilité inquiète, je guette leur message opaque. Ces intérieurs, amas blancs et noirs, affichés sur le négatoscope ne s’offrent qu’à l’expert. Il me plaît pourtant de heurter aux silences ce projet impudique. Dans mon armoire et dans mon cœur, ces radios attendent que je leur donne la parole.



J’ai longtemps cru que je n’avais rien à dire. Je n’avais pas de souvenirs d’enfance. Comment faire surgir les images quand on a grandi derrière des cloisons à redouter des cris et des soupirs ? Et puis, je suis tombée sur ces radios. Ce fut comme une révélation. Devenues cartes à explorer, territoires à parcourir, ces pellicules rectangulaires ont fertilisé ma mémoire. J’ai interrogé leurs ombres et ravivé, par fragments, les souvenirs de douleurs tues. En les découvrant, gondolées comme sous l’effet du soleil, les mots ont cillé. Mes textes fragmentaires sont devenus tableaux, tentatives pour faire surgir du néant des hommes et des lieux, la terre dont je viens, Tunisie longtemps fuie dont je refusais l’héritage.





Ce livre est mon album de jeunesse, ma discothèque, mon reliquaire.
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« Je fréquente la bande parce qu’en dehors de la fac, je n’ai rien d’autre à faire et que je m’ennuie dans le HLM blême de mes parents au milieu de ma cité dortoir. Et parce que j’aime bien la compagnie de Figos aussi. Et puis quoi faire d’autre ? Le petit futé de bourge d’urbaniste qui a imaginé la cité où nous vivons n’a prévu aucun bar. Zéro troquet. Dix mille nouveaux habitants et pas un rade ! Cité prolo, qu’ils ont dit. Métro, boulot, dodo. Pas bistro. C’est Figos qui a repéré le nôtre, un soir, en rentrant d’une baston avec des gars de Bagneux. À Châtenay-Malabry. Le Baltimore. »
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Mais mon obsession pour cette UnSeelie constituait sa propre folie car, en effet, Ava m'avait déjà fait perdre tout bon sens.
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Presque toujours seul, pendant ces longues et claires journées printanières, je liais connaissance avec les arbres et les fleurs du bois. Tout le monde forestier se révélait à moi brin à brin, j'y faisais à chaque visite des découvertes qui me transportaient de joie. Tantôt c'était un chaton de saule à l'odeur mielleuse, aux étamines de poudre d'or; tantôt une anémone blanche qui fleurait l'amande, ou les premiers boutons roses du joli bois s'épanouissant sur la tige encore veuve de feuilles. À l'âge où j'étais, tout est surprise et enchantement : le nid d'un oiseau ou d'une guêpe, la chrysalide d'un papillon, les excroissances d'une feuille de chêne, la semence qui sort de la terre, le fruit qui se noue sous la fleur, les fils d'araignée qui flottent dans l'air. L'enfant qui arrive au milieu de la nature, et qui ouvre pour la première fois tout grands ses yeux et ses oreilles au spectacle de la vie extérieure; l'enfant a les surprises, les soudaines frayeurs, les splendides éblouissements de l'homme primitif. Mes sens s'épanouissaient dans cette existence en plein bois. Je voulais toucher à tout et goûter de tout.

Pareil à un cabri sauvage, je broutais à même les jeunes pousses, essayant mes dents et mon palais à toutes sortes d'aliments forestiers ! Mûres des friches, senelles des haies, baies et sucrées de la bourdaine, tiges de la douce-amère, juteuses tauboises des bois, alises, faines et noisettes, j'avais une insatiable curiosité gourmande, et je l'expiai cruellement, une fois où, trompé par l'apparence appétissante de la sève de l'euphorbe commune, je me brûlai la langue en suçant les tiges laiteuses. La tête pleine de mes histoires de fées et d'enchanteurs, je peuplais le bois d'êtres imaginaires. Grisé par la solitude, j'évoquais tout haut les fées dont j'avais lu les aventures. Souvent assis au bord d'une petite mare, entourée de joncs et de menthes, ombragée de noisetiers et d'érables, j'attendais avec confiance le moment où une fée viendrait y puiser de l'eau, espérant que, charmée de ma bonne grâce et de ma politesse, elle me ferait quelque don merveilleux, comme par exemple de ne point ouvrir la bouche sans en voir sortir une fleur ou une pierre précieuse. Je la suppliais mentalement d'accourir et d'exaucer ma prière; parfois même je m'imaginais que le don m'était déjà octroyé, et je parlais tout haut pour voir si mes lèvres n'allaient pas laisser tomber quelques joyaux... Mais rien ! Dépité de cette attente trompée, je frappais du pied la terre, en maugréant tout bas :

- Bête de fée !

Puis, saisi d'une subite terreur à la pensée que la fée ainsi injuriée était capable de me punir d'une façon exemplaire, je m'enfuyais épouvanté de mon irrévérencieuse audace.

À la lisière du taillis, il y avait un grand champ de blé, puis une sorte de friche envahie par les fougères et les ronces qui ondulaient, vertes et blondes, sous le ciel; tout au loin, à une distance qui me semblait infranchissable, le terrain se relevait et les bois recommençaient. Mon grand-père appelait cette lointaine forêt moutonnante "Le Grand Bois" et rien que le nom faisait germer dans ma tête un monde de suppositions mystérieuses. J'avais fini par imaginer que ce "Grand Bois", devait être le véritable séjour des fées et des princesses enchantées, qui dédaignaient de venir dans notre taillis trop modeste. Pendant de longues après-midis, je regardais avec des yeux pleins de convoitise et d'anxiété cette masse boisée et brumeuse ou des arbres de haute futaie s'élevaient de distance en distance comme des nuages verdoyants. Le soir surtout, quand les ombres grandissaient au soleil couchant, quand les vapeurs s'élevaient, je me sentais pris d'un vague et tourmentant désir de franchir les blés et les friches et d'aller chercher aventure dans cet inconnu.

Le vent murmurait faiblement dans les chaumes; des ramiers à l'aile mélodieuse traversaient lentement le ciel marbré de nuages roses, les geais se remisaient dans le taillis en se chamaillant; parfois un berger, enveloppé dans sa limousine, apparaissait dans l'espace découvert, poussant lentement devant lui ses moutons serrés les uns contre les autres. Et je rêvais à la fabuleuse princesse qui devait habiter sans doute quelque palais enchanté dans le plus profond de cette forêt ténébreuse. À force d'y rêver, j'en étais arrivé à me persuader que la princesse existait réellement. Mes yeux, fixés sur le même point de l'horizon, finissaient par avoir des visions qui tenaient du mirage. Je croyais, comme dans le conte de la Belle au bois dormant, apercevoir au-dessus des cimes des arbres, les vagues formes des tourelles pointues et les toits aigus d'un château fantastique. J'avais même rétabli toute l'histoire merveilleuse de ma princesse inconnue. Elle s'appelait "La Princesse Verte". On l'avait ainsi nommée parce qu'elle était vêtue d'une tunique de soie verte et qu'elle avait dans ses cheveux blonds un diadème d'émeraudes. Un enchanteur, ennemi de sa famille, l'avait enlevée à son père et à sa mère, le roi et la reine du Kurdistan, et l'avait enfermée au fond des bois, dans ce château dont l'accès était défendu par des dragons et des salamandres.

À partir de ce moment, tout ce qui m'arrivait de bon et de mauvais, je le rapportais à la Princesse Verte. Quand ma grand-mère m'avait fortement semoncé à l'occasion d'une leçon mal sue ou d'une page d'écriture sagouinée, je rêvais de me sauver du logis, de courir à la recherche de la princesse et de la délivrer de son enchantement. Mon plan était fait. Je partirais de grand matin et je serais certainement guidé vers la forêt par quelque geai ou quelque corbeau de bon conseil, avec lequel j'aurais lié amitié en route, comme le Prince Avenant. Grâce à cet oiseau charitable, j'arriverais sain et sauf jusqu'au château de l'enchanteur. J'endormirais les dragons en leur jetant quelques gâteaux de mon dessert de la veille, que j'aurais eu soin d'emporter dans mon mouchoir, et je me glisserais ensuite jusqu'à la salle d'honneur, où je trouverais la petite Princesse Verte, occupée à peigner ses cheveux blonds avec un peigne d'or.



("La Princesse Verte")
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