Une magnifique odyssée, un road movie épique du surf, voilà dans quoi nous plonge cette autobiographie d'un passionné, addict à la vague d'exception et au spot isolé. Difficile de ne pas penser à Kerouac tant l'esprit qui y souffle rappelle l'épopée des beatniks une bonne partie, même si l'on y croise plus souvent des beach bums, ces marginaux des plages océaniques.
De la Californie à l'Afrique du Sud en passant par l'Indonésie, Hawaï, la Thaïlande, l'Australie ou les iles Fidji, la bio de William Finnegan se déroule en suivant le fil de son obsession dévorante. Dès 10 ans il entrevoit ce jardin secret qui l'extrait du monde et des siens ; jeune adulte il laissera travail et compagne pour un périple à l'amitié tumultueuse dans le Pacifique Sud avec Bryan, tous deux en quête de la vague au sentiment d'immortalité ; enfin son séjour en Afrique du Sud ancrera sa vie dans une optique moins futile, plus politique et engagée.
L'on y croise quantité de vagues aux descriptions personnalisées et minutieuses, sources de sublimes « rides » ou de mémorables raclées. L'on y rencontre des surfeurs avides de plaisir égoïste capables de beaucoup pour la vague idéale, mais pas toujours d'entraide ou de respect. Un monde rebelle et ascétique, où la violence paraît consubstantielle à la puissance des vagues recherchées : « Les surfeurs appellent cette puissance le juice – le jus – et, quand les vagues deviennent sérieuses, le juice devient l'élément critique, l'essence même de ce que nous sommes venus chercher pour nous mettre à l'épreuve – tantôt en l'affrontant avec témérité, tantôt en l'évitant avec lâcheté. Ma propre relation avec cette quintessence, cette dose de violence pure, s'est faite plus vivace avec le temps. »
Loin d'être un manifeste exclusif pour le surf qui sombrerait dans le rébarbatif de technicité ou d'aveuglement prosélyte, c'est avant tout un superbe texte dense et exigeant, à la saveur littéraire avant d'être sportive, où il est aussi question de voyage, de sens de la vie, de famille ou de société. Le jargon du surfeur est certes bien là aussi, impossible en effet d'échapper aux takeoff, ride, lineup et autres subtilités du vocabulaire adéquat. Mais un glossaire retenu par un marque-page peut faire l'affaire, tandis que le talent et le souffle de conteur de William Finnegan s'occupent du reste.
Un auteur par ailleurs reconnu grand reporter, amateur diplômé de littérature, enclin tout au long du récit à discuter livres et auteurs, écrivant déjà des romans jeune adulte. Surf et littérature, ou quand une passion semble au final en cacher une autre.
« Se trouver au milieu des grosses vagues a un côté onirique. Terreur et extase rodent toutes deux ensemble, menaçant de submerger le rêveur. Une splendeur surnaturelle émane de la vaste arène d'eau mouvante, de ciel, d'une violence latente et explosions bien trop réelles. Ces scènes qui s'offrent à vous semblent déjà mythiques alors même qu'elles se déploient. Je suis toujours la proie d'une ambivalence féroce : j'aimerais être n'importe où ailleurs à cet instant et, en même temps, je n'aspire qu'à être ici.»
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