Ce peuple morne et disloqué, ne dites pas qu’il est composé d’Italiens, d’Allemands, d’Autrichiens, de Grecs, de Polonais ou de Lithuaniens, car ceux qui sont ici n’ont qu’un trait qui les marque et qui leur fait se ressembler : ce sont les refoulés, les expulsés, les « éloignés », les sans-terre, les sans racines ; les sans-foyer, les sans-refuge, les sans-but, les sans lendemain ou, pour tout dire en un seul mot, les étrangers
Surveillance policière, censure postale, étouffement de la presse, étranglement des libertés, arbitraire absolu de la haute administration, interdictions, empêchements de toutes sortes, exactions de tout acabit, arrestations en masse, tortures – mais oui : tortures ! -, à l’occasion bombardements de villages ; jusqu’à présent, tous les moyens ont été mis en œuvre pour que rien ne filtre, pour que l’éruption ne se voie pas, ne s’entende pas, que l’écho même en soit étouffé
les maisons ont un masque noir, les gens ont l’air de se mouvoir dans un brouillard nocturne, la terre sue un jus gras et noir, les villes vous soufflent au visage une haleine brunâtre, et lorsqu’on voit dans les jardinets minuscules fleurir les lys, on est quelques secondes à se demander ce que cette blancheur fait là.