Depuis le début de notre siècle, les études de P. Durrieu et de Hulin de Loo et, plus récemment, celles de E. Panofsky ont mis en lumière le rôle capital de l'enluminure parisienne dans l'évolution de la peinture européenne. Pendant un siècle, entre 1320 et 1420 environ — entre Jean Pucelle et le Maître de Boucicaut — elle s'assimilait les moyens de structurer la forme et l'espace ainsi que le répertoire du geste expressif que lui fournissait la peinture italienne du Trecento. Simultanément, dès 1350 environ, elle absorbait la liberté picturale et les effets lumineux de la perspective aérienne des peintres venus des Pays-Bas, de plus en plus nombreux. Les travaux des grands spécialistes de l'enluminure, O. Pàcht, M. Meiss et F. Avril confirmèrent cette mission historique qui préparait l'art souverain des créateurs flamands, Robert Campin (actif avant 1406), Hubert van Eyck (actif avant 1413) et Jan van Eyck (certainement actif avant 1422).
Comparé à un tableau anonyme dépourvu de tout état civil, un manuscrit même sans colophon, armoiries ou devises fournit à l'historien des renseignements beaucoup plus nombreux. Non seulement, comme dans le cas du tableau, on peut examiner au laboratoire son support, la structure de sa matière picturale, les hésitations ou les corrections du peintre; situer la composition et les motifs du sujet représenté dans une tradition ou une famille iconographique (tant religieuse que profane); rapprocher l'écriture du texte et le style de la scène historiée et des bordures de ceux d'autres enluminures. Mais un manuscrit offre une mine de renseignements supplémentaires par son texte.
Ce volume traite de la période de 1444 à 1500 environ et la vie de la capitale peut alors paraître tranquille comme un lac où se serait écoulée la turbulente cascade des malheurs de la guerre de Cent Ans, de la grande peste, de sanglantes émeutes, de la secrète tension sous l'occupation anglaise. C'est seulement pendant deux ans, en 1465-1466, que l'inquiétude allait troubler les bourgeois parisiens qui gardaient pour Louis XI l'enceinte de la ville et observaient les troupes de la Ligue du Bien Public. Il y aura, bien sûr, à la fin du siècle, des épidémies (1482-87, 1495-96,1499-1500) mais c'était, dans ces temps, un avatar endémique et accepté comme tel. La vie a changé et les conditions de la production artistique qui en dépendent viscéralement ne pouvaient demeurer inchangées.
Ainsi, au XIVe siècle, Paris est la capitale de la peinture française et au XVe siècle elle attire de nouveau des peintres de talent d'origine très diverse. Cette constante vitalité, cette envergure cosmopolite qui m'avaient parues, dès 1938, comparables au rôle que Paris assuma au XXe siècle, distingue la peinture de cette ville, entre 1300 et 1500, de celle des autres centres de la France. Elle justifie un volume autonome. Un volume qui gardera toute sa signification même s'il ne devait pas être suivi par d'autres.