Il y avait l’amour
Il y avait le merveilleux battement de grandes ailes,
entouré comme d’une quiétude céleste,
la fleur unique qui vibrait contre le mur du Malheur.
Il y avait l’amour de l’homme.
Une infime ligne blanche comme écume, passagère,
emporte aujourd’hui en son miracle de vie le Malheur rebelle
qui voulait tout entier se cacher dans sa tendre clémence,
sa pure blancheur,
pour se métamorphoser, lui aussi, en blanc dans l’aube nouvelle.
Déchirement d'air
L'ombre de l'aile a déchiré l'air,
émotion de l'âme soudaine et d'outre-monde,
qui a rempli de stigmates obscurs la toile gelée du silence.
Une flèche, un glissement vers le ciel
et l'âme s'est inclinée sous son pesant sourcil
pour contempler les quatre angles redoutables,
le drap frissonnant sous elle
qui l'appelait à prendre la mesure de son courage.
L'ombre étincela
et le monde s'est élevé de son obscurité,
pour que palpitent ses entrailles ouvertes, du fond vers l'air,
comme un branche fragile
qui recherchait l'ascèse des gouffres, et tu respires.
« L'Estrade », 1988.
Traduction du grec moderne par Bernard Grasset | pp. 83 & 79
Délivrance
Sur les rainures incandescentes de la vertu
tout le jour vous vous penchiez
tout le jour vous vous taisiez.
Vos entrailles étaient près de s'embraser,
vous avez bu la lave bienfaisante,
vous vouliez montrer comment de tout son corps
seul survit le petit doigt de l'homme.
L'abysse vous offrait l'éblouissement
et vous l'avez à nouveau porté de vos mains jointes
pour le boire comme un céleste breuvage
dans une coupe si rare.
Ainsi vous libériez
l'avide clameur amoncelée au long des siècles,
vous écartiez un peu les ténèbres,
avec le tressaillement de votre coeur,
qui, baigné de larmes, se vêtait soudain de traits de lumière,
comme le passage diamantin des ailes de l'hirondelle.
« L'Estrade », 1988.
Traduction du grec moderne par Bernard Grasset | p. 57
Les rêves
De temps à autres aux heures silencieuses de la nuit
les cris du loup se calment,
les courants de la bonté coulent d'eux-mêmes dans le coeur,
sans entrave.
Aux heures culminantes de minuit,
l'homme s'aperçoit dans un autre que lui,
l'entoure des rubans argentés de l'amour,
monte tout entier vers lui, délivré,
au-dessus de lui, seuls le ciel et les astres.
Mais au souffle de la brise de l'aube
bougent de nouveau en lui les cris de l'animal,
tout est trouble de ce qu'il revoit
et il se lève comme un chacal, prêt à chasser son semblable,
à s'emplir de chair et de sang,
à boire le triomphe au-dessus du son strident et creux de sa citerne.
Et à la tombée du soir
il contemple ses mains ensanglantées,
ses vêtements déchirés,
ses chaussures en lambeaux,
il considère son coeur où le sanglot n'a plus de place.
Tombé dans un sommeil lourd, en proie aux cauchemars de pierre,
il s'émeut parfois des pas légers de rêves lointains
lui disant que tout aurait dû être différent.
(Le dernier ange et autres poèmes)