Opus mulierum
Old courtyards with tubs of laundry:
‘Go to the washerwoman and do your own washing’
I whisper to you, and the wild apricot trees
all turn suddenly white, the sky pales,
the world is soused in a drenching buzz.
There΄s a smell of bluebags and a sulphurous bubbling.
You΄d hardly believe it – so much steam rises
that only dirt is left in the copper.
The wild apricots petrify into coral.
It΄s so easy – easy in a woman΄s way –
to wash your soul, to rejoice in the spring wind
shaking the scales on its dragon-tail
so that you΄re looking at soap-bubbles
it blows for you between your fingers.
Two children pass by, holding on a string
a balloon transparent as a bubble.
For a moment we are crouched inside it.
Translated by Fleur Adcock
(New Europe Writers. Bucharest Tales: A Collection of Central European Contemporary Writing)
July
First poppies –
growing through the asphalt of
Bucharest
over generations of cellar-walls.
First poppies since you are gone.
Poppy
is opium for the peoples.
(Translated by the author)
Bucharest Tales: A Collection of Central European Contemporary Writing
L’oiseau blanc
Dans le métro
deux oiseaux blancs
attachés
picorent quelques graines
tombées de la musette du paysan qui vient de descendre.
Il y a encore beaucoup de temps jusqu’au Jugement.
Et l’un des oiseaux, apporté de l’Orient,
me regarde dans les yeux. Ceci veut dire
qu’il me reste encore du temps a vivre. Car vers les malades,
disent les vieux bouquins,
il ne tourne plus la tète.
Et il y en avait un qui essayait de l’amadouer
il lui tendait des noix et l’appelait et lui chantait,
mais l’oiseau ne voulait pas le regarder.
Mais l’oiseau non et non.
Des monarques l’avaient appelé pour leur prédire le futur.
Il était conduit de maison en maison
et quelques-uns avaient peur de le laisser entrer.
Et maintenant il est ici
a côté de moi
et voit quelque chose qui m’échappe.
*
(traduit du roumain par Linda Maria Baros)
The Violin-maker
With his wire spectacles and shiny bald head
in a room full of canaries,
he was the most famous instrument-maker,
and my parents asked him to make me a violin.
I remember: I was a schoolgirl; I climbed
the narrow dovecot staircase
next to a basket on a rope, intended
for hauling up mail or newspapers.
Then I became a student, and still no violin –
there was still some detail, something to finish.
Today my daughter needs it,
but the violin-maker frowns:
‘I won’t be hurried
just because some people happen to inherit
an obsession with playing an instrument.’
Translated by Fleur Adcock
(New Europe Writers. Bucharest Tales: A Collection of Central European Contemporary Writing)
La première neige
Le professeur ramasse les devoirs sur table :
1) ce qui est bon 2) ce qui est mal
3) ce qui est dur 4) ce qui est léger
Bonne est la liberté. La vie. La compote de pêches.
La chose propre. Il est bien de vivre aussi bien que possible.
D’aider un ami.
Il est mal de casser une vitre. De faire un croche-pied.
De ne pas vivre. De faire la guerre. L’oubli.
De jeter des pierres. De traverser une rue en courant.
Il est dur de dire la vérité. Un corps dans l’univers.
De vivre en ayant peur. De rester seul.
Dure est une barre de fer.
Léger est le grain de blé. De faire tout ce que tu aimes.
Le ciel. Un flocon de neige. De jouer.
D’inventer un mensonge.
« J’aurais mieux fait de leur demander
quelle est la couleur de la première neige », se dit le professeur.
Les élèves murmurent. Se parlent a l’oreille.
Une fille éclate en pleurs.
*
(traduit du roumain par Linda Maria Baros)
Voyage au soir
La maison se remplit d’un silence de feuillettement ;
père lit le journal, Ana un auteur grec ;
moi, je trie (tout en jetant) des livres avec des explorateurs.
Maintenant nous traversons les ravins dans un traîneau
tiré par des chiens ; les aboiements, les accents des ornières montrent que
même les chiens peuvent, au besoin, s’entendre.
Des soucoupes volantes dans le ciel - des nouvelles secrètes.
Quelque part un philosophe avait enterré un rayon ;
des traits oblongs - des témoignages - dans la neige de nerfs.
Des boules d’années passent a côté de l’oreille,
l’avalanche - correction du texte - nous menace.
On t’a bien sur déjà menti, a toi et a toi ;
mais tu ne t’es pas arrêté, car cela aurait été pour de bon,
et tu ne peux déchiffrer le sang coulé,
car tu n’es pas le lecteur, mais une partie de l’énigme.
*
(traduit du roumain par Linda Maria Baros)
Dior își numește rochiile de seară
Jean Paul Sartre, Albert Camus, Marcel Aymé.
Aproape că m-aș înfășura, de dragul tau,
într-o mantie de zăpadă
care-ntr-o zi o să-ți poarte
numele.
(Zeița modei)
Le tapis volant
L’été, au bord du lac
entouré d’HLM blanches bleues
sortent quelques gens pour bronzer
d’autres pour laver des tapis.
Et je me souviens de la fillette
qui a sauté par la fenêtre
un paillasson qu’elle croyait volant dans les bras -
il en était peut-être ainsi, sachant qu’on l’a rattrapée
a temps.
Et toi tu agrippes avec acharnement
l’herbe brulée, bien ancrée dans la terre,
et tu vois a travers les paupières serrées
un ballon rouge
ricocher contre un mur :
de surcroît, tu t’es acheté au bazar
une montre qui arrête
le temps.
*
(traduit du roumain par Linda Maria Baros)
Le poète aux Galápagos
A la fin du millénium un groupe de touristes
trouverait aux Galápagos
seulement quelques poètes :
on a mangé les tortues il y a bien longtemps,
un pinson étrange
a arraché ses propres yeux
avec une épine -
seuls les poètes ont résisté, ils n’ont
rien de bien intéressant
(même s’ils ont, eux aussi, une carapace
et marchent parfois très lentement)
ils se tiennent la et regardent l’horizon et attendent
que leurs petits sortent des livres
tandis que les touristes demandent des cartes postales
montrant ces objets bizarres.
*
(traduit du roumain par Linda Maria Baros)
Sahel
Chaque année le désert
(avec un d de « dieux »)
gagne une quinzaine de kilomètres
(avec un k de « karma »)
fait tarir les sources
(avec un s de « savoir »)
fait tarir de plus en plus les mots.
De plus en plus affamé, le dictionnaire -
des essences s’arrêtent un instant
en plein saut au-dessus de l’abîme,
puis blanchissent sur la terre craquelée.
Le poète guette
les crânes purs des mots ;
les mots encore vivants et affamés
guettent le poète.
*
(traduit du roumain par Linda Maria Baros)