Je me fais l'effet d'un cactus en plein désert. Aussi moche, aussi piquant, aussi seul.
- Pourquoi tu dis ça ? me demande-t-elle d'un ton aigre.
- Parce que c'est la réalité. Je fais fuir les hommes et je reste toute seule, avec mes raquettes pleines de piquants.
- Opunita microdasys, le cactus à raquettes. Primo, un cactus, c'est beau. Deuxio, je te rappelle que ces plantes ont fait preuve d'une remarquable capacité d'adaptation, au manque d'eau, par exemple, grâce à la disposition de leurs mamelons en spirale…
- Manquerait plus que ça !
- J'y peux rien, c'est la description scientifique, poursuit-elle sans dévier du seul sujet qui la rend loquace. Ces spirales, donc, qui évitent que leur peau qui se déforme au gré des variations d'hygrométrie ne se déchire. On peut noter également l'épaississement de leur épiderme ou la réduction du nombre de stomates permettant la transpiration comme facteurs d'adaptabilité à un milieu hostile.
- Oui, mais on ne peut pas les caresser, ni en faire des bouquets, ni se rouler dedans !
- C'est quoi ce reproche gnangnan ? On parle d'une plante qui a trouvé le moyen de survivre de manière hyper intelligente ! Leurs épines les protègent du soleil, du vent, des prédateurs… Alors tu devrais être fière au contraire de te voir en cactus ! Toi si naïve, toi qui ne dis jamais non, tu es en train d'apprendre à te défendre, Blanche
Laissons couler la vie, observons son flux sans penser à ce qu'elle a fait en amont ni à ce qu'elle fera à l’aval, les mains ouvertes frôlées par le courant qu'elles ne peuvent saisir.
"L’époque où les petits riens me procuraient une joie pure est bien révolue, me dis-je tristement. Je me revois, enfant, sur le talus exposé plein sud. C’était toujours là que les violettes venaient en premier, je les guettais anxieusement, me levant plus tôt pour chercher au centre des feuilles cordiformes la tige recourbée, comme ployant sous le poids du bouton pointu pourtant minuscule. J'étais heureuse par avance du retour du printemps mais je ne m’autorisais à m’en réjouir vraiment que lorsque seraient apparues les fleurs, miracles de délicatesse odorante faites pour nous rappeler que la beauté ne meurt jamais, même après des mois de gel. Quand elles sortaient enfin, j’en faisais un petit bouquet serré pour maman, toute pleine de mon amour fou pour elle, pleine de cette force sauvage de la nature qui inonde à gros bouillons de sève collante les tiges pour faire éclore les fleurs, les troncs pour faire éclater les feuilles chiffonnées encore comme des mains de nouveau-né, les corps des petites filles pour qu’exulte en elles le bonheur puissant d’être en vie. Mais souvent, sur sa table de chevet, le bouquet de violettes fanait
Nous étions mercredi, il était 11h46. J’ai croisé le chien perdu, fidèle à son poste, ses yeux jaunes qui brillaient derrière la frange de poils ébouriffés, seule étincelle dans son corps de plus en plus statique. Son immobilité déclenchait moins la sympathie qu’une vague angoisse, comme s’il sortait d’un conte et qu’il était en train de se pétrifier en veillant sur un trésor secret. Mais quand il m’a vue, moi seule, et de très loin, sa queue a battu le bitume à grands coups décidés, ses yeux se sont plissés on aurait dit de joie et il a ressemblé alors très fort au chien de Chocapic. Il s’est cependant contenu pour rester assis car il voulait me montrer qu’il était bien élevé. C’était pareil à chaque fois que j’entrais dans son champ de vision. Pourtant son enthousiasme avait déjà perdu en intensité, comme s’il se rendait à l’avis général et se faisait à l’idée que miser sur moi, c’était vraiment une mauvaise idée. J’étais d’accord avec lui sur ce point et ça nous rapprochait tout en nous éloignant