La boîte à tabac ronde qui ne quittait jamais la poche de la chemise de Serge avait glissé entre les coussins du fauteuil dans lequel Vincent somnolait. Il l'ouvrit, l'arôme familier le prit à la gorge et il se mit à verser toutes les larmes qu'il avait refoulées depuis que François avait annoncé la tragédie. Le visage dans les mains, il sanglotait. Après un long moment, quand il eut versé tout le chagrin dont il était capable, il se redressa et reposa la tête contre le dossier du fauteuil, laissant le silence du moulin recueillir sa peine.
Avant de se coucher, il alla jusqu'au bord de l'Eure et tâta la température de l'eau avec sa main. Une mince couche de brouillard en dissimulait la surface. Sans réfléchir, il se déshabilla et entra dans l'eau. Ses pieds s'enfoncèrent dans la vase avant d'atteindre la fermeté du fond du gravier. Il frissonna. La température de l'eau avait suivi le changement de saison.
Pendant des années, quand arrivait l'été, Vincent allait presque toutes les nuits se baigner nu dans la rivière. Peut-être parce qu'il était sourcier et prévoyait la pluie, il avait surmonté sa crainte des eaux sombres. Il faisait partie de la rivière au même titre que les poissons. Certaines nuits, quand la lune était pleine et que les chouettes chassaient à ras des champs, il ne sortait pas de l'eau avant le lever du soleil. Maintenant, même la vase qui au début le dégoûtait lui inspirait une excitation insolite. Un samedi soir, après le bal, il avait ôté ses vêtements, s'était allongé à plat ventre dans un remous, la poitrine posée sur l'herbe chaude de la rive, et avait fait l'amour à la vase. Le lendemain matin, il s'était réveillé affolé, persuadé que son membre allait pourrir et se détacher de son ventre.