Que ne puis-je changer de coeur et de visage !
Je crains que de son fils il n'y trouve l'image,
Mon trouble, ma rougeur, mes regards languissants,
Tout parle d'Hippolyte et du feu que je sens,
Mon front va me trahir, et ma langue interdite
M'accuser à Thésée, et nommer Hippolyte,
Mes yeux en sont remplis, mon coeur en est atteint,
Et dans tous mes transports Hippolyte est dépeint,
Il vient avec Thésée, ah Ciel ! ils sont ensemble,
Je les verrai tous deux ? Ah ! Princesse, j'en tremble,
J'entends du bruit, on vient, je cours dans ce malheur
Leur cacher mon amour, ma rage, et ma douleur.
Arrête, Phèdre, arrête, et cours plutôt cacher
Un secret que l'amour commence à t'arracher ;
Et vous, cruels tyrans, impétueuse flamme,
Gloire, dépit, raison, qui déchirez mon âme,
Secret fardeau pesant qui me fait soupirer,
Hélas ! Pour un moment laissez-moi respirer.
Princesse, vous voyez une reine affligée
Dans les plus noirs chagrins mortellement plongée,
Qui ne peut plus se taire, et qui n'ose parler,
Et qui cherche partout qui peut la consoler.
Tout aime cependant, et l'amour est si doux !
La nature en naissant le fait naître avec nous.
L'univers n'eut jamais de peuple si sauvage,
Qui des premiers soupirs ne lui rende l'hommage.
Sitôt que la nature apprend à respirer,
L'amour en même temps apprend à soupirer.
Un Scythe, un barbare aime, et le seul Hippolyte
Est plus fier mille fois qu'un barbare et qu'un Scythe.
Mais le sang dont je sors leur devait faire croire
Que le Fils de Thésée était né pour la gloire,
Madame, et vous voyant ils devaient présumer
Que le coeur d'Hippolyte était fait pour aimer.