Influencé(e) par quelques paroles de chansons et né(e) à l'époque de sa mort, je pensais que la bohème était plus un phantasme qu'une réalité. De son propre aveu, Mihai Neagu Basarab en fut, plusieurs fois… pendant une vingtaine de jours. Quant au livre, c'est un genre classique en littérature roumaine : les souvenirs de jeunesse, ici agrémentés de parallèles, commentaires et analyses, souvent humoristiques. L'un de ses mérites principaux est de ressusciter des auteurs plus ou moins, mais surtout plus, oubliés : Oscar Lemnaru, Neagu Rădulescu (un satiriste difficilement trouvable, même en Roumanie), Alexandru Monciu (je ne sais même pas s'il est vivant), Teodor Mazilu (un peu plus connu, il figure dans l'anthologie d'Andreia Roman), Tudor Vasiliu, George Astaloș (il était français, je vous assure), Averchenko (un Russe intéressant, traduit en roumain mais pas en français). Quant à Pierre Labracherie, Ambroise Vollard ou Henri Murger, on ne se les arrache pas en librairie… Certaines anecdotes issues de faits divers sont hilarantes : ce qu'il coûte de croire le mythomane Moni Tășcuț, comment le (faux) spécialiste de la méditation a fait l'analyse des officiers de la Securitate et surtout les a fait payer pour révéler les plus hauts secrets d'état, ce qui se passe quand un bohème essaye, ô blasphème, de payer des dettes (rien à voir avec la Grèce, quoique…) et comment troquer des poèmes du niveau de ceux d'Arghezi contre des cornichons.
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Voici un médecin roumain (retraité ? !) qui fait œuvre de reconnaissance (il dédie son livre aux orphelins de la bohème bucarestoise) royale. Sa cible l'est également. Après « la bohème est morte » on est invité à penser « vive la bohème » ! Son travail documentaire est salutaire à bien des égards et même contagieux, car à l'instar d'Henri Murger, Mihai Neagu Basarab est, par-delà quelques passages brumeux, un savoureux bohème lui-même. Il trempe sa plume dans un encrier d'esprit où plus d'un voudraient laisser reposer leur « Roi-Soleil ». Même s'il se dit croyant, je dirais de lui qu'il a un sacré Witz : « Comme l’avait si bien remarqué Petre Ţuţea, il y avait à l’époque en Roumanie concomitamment inflation et déflation : “Le leu ne vaut pas un liard, et pourtant on ne le trouve guère, même en se taillant la part du lion !” » On l'aura compris, dans la bohème tout est une affaire de dettes : « Leahu précise que le reporteur photographe Constantin Cioboată, le voyant attristé par des dettes qu’il ne savait pas quand il allait pouvoir régler, lui a conseillé : “Ne te chagrine pas. Écoute-moi ! On ne paye pas ses anciennes dettes, tout comme on laisse vieillir les nouvelles !” Puis, ils ont continué à boire un ou deux verres, de sorte qu’il a dû prêter au poète un peu d’argent, seulement “jusqu’au lendemain”. C’est précisément le lendemain que Leahu lui a servi, en plaisantant, la réplique suivante : “Navré, Ciobi Baci ! C’est toi qui m’as appris qu’on ne paye pas ses anciennes dettes tout comme on laisse vieillir les nouvelles ! “ »
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