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Citation de moseakiera


Debout autour du grand bassin d’Amon sur la façade sud du temple, près du feu sacré, quelques privilégiés guettaient l’instant où les nouveaux notables leur apparaitraient sur l’esplanade. Des lueurs de torches suivies par un groupe d’individus apaisèrent leur attente. Les rythmes des tambours s’affolèrent. Le pharaon, assis sur son trône, occupait, avec sa famille, une estrade. En face de lui, de l’autre côté du bassin, se trouvaient les aristocrates. Puis, le long du canal qui alimentait le bassin, s’étaient amassés les citoyens les plus ponctuels et les plus prompts à assister aux festivités.
Séqén-en-Rê voulait fêter avec un faste inégalé l’initiation de son fils, Sipaïr, le prince héritier. Le pharaon trônait sur la chaise incrustée de dorures représentant la scène du Sema-Taouy. Néfertari la princesse, assise sur un tabouret aux pieds en forme de pattes de lions, se trouvait à ses côtés. Néfertari était belle et le savait, on le lui avait tant dit, pas juste par gentillesse ou par respect dû à une Altesse Royale. Elle arrivait à distinguer un regard concupiscent d’une considération de dévot. Elle avait ajouté à son éducation stricte un zeste de provocation qui se résumait en l’une de ces démarches coquettes que les femmes adoptent dans le but d’augmenter le niveau d’adrénaline dans le cœur des aventureux. Néfertari se savait inaccessible aux simples sujets du pharaon et s’en amusait. Elle se jouait des convoitises des conquérants. Pourtant, ce jour de fête, elle réalisa qu’après l’initiation, son petit frère entrait de plain-pied dans la cour des grands hommes. Elle éprouvait un soudain malaise. Si Sipaïr, lui, grandissait, elle, somme toute, vieillissait. Néfertari était une femme difficile ; à présent, elle se sentait soudainement inaccessible. Pour comble de malheur, l’éducation soignée qu’elle reçut, celle destinée à la fille du pharaon, l’avait préparée à siéger à Areika, mais pas à mener une vie conjugale. Elle résidera prochainement à Areika et deviendra la principale gardienne de la palette de Narmer pour le restant de sa vie. L’actuelle gardienne régnait déjà depuis plus de cinquante ans. Aucune autre gardienne n’avait aussi longtemps occupé cette fonction. Néfertari devrait d’un jour à l’autre épouser son destin. Le moment venu, comme on le lui avait déjà révélé, un signe apparaitra dans le ciel. Pour tout le monde, Néfertari serait la prochaine divine gardienne de la palette de Narmer et personne n’envisageait, pour elle, des lendemains plus ordinaires. Elle en fut fière dans le passé, elle s’en attristait à présent. Rien ne transparaissait pourtant sur ce visage basané aux yeux étirés. Une perruque, encerclée par un diadème ciselé de fines tresses, sculptait la figure de la princesse. Elle était assez grande comparée aux autres femmes. Cette haute stature, à défaut de la raidir, fluidifiait sa grâce inégalée. Elle était modelée pour la contemplation. Néfertari se savait admirée et ne demandait plus qu’à aimer et à être aimée en retour.
Craignant de pleurer son pathétique sort, Néfertari se leva, rejoint les danseuses au centre de la cour et s’élança dans une danse débridée. Étonnement, stupéfaction, curiosité, admiration, fascination, admiration, admiration, admiration, admiration… : pour elle, rien que pour elle, toute l’Égypte, résumée par cette foule hétéroclite, hypnotisée par sa danse féerique, s’enflammait d’admiration. Elle avait les larmes au bord des yeux.
Elle vit son petit frère, accompagné de ces deux amis initiés. Il s’était revêtu de ses attributs de prince, debout sur les marches du grand escalier du temple. Le monde qui l’entourait s’évanouit par la force de l’affection qu’elle lui portait. Au point que, pour elle, il n’eut plus personne tout autour ; il n’y avait que son petit frère sur terre. Elle courut vers lui et l’enlaça. Une larme appela une autre, telle une file de fourmis aqueuses. Elle pleura. Les personnes tout autour s’imaginaient qu’elle pleurait de joie, alors qu’elle sombrait sous une poignante tristesse, la tristesse de ne pas avoir d’autre homme dans sa vie. Peut-être, somme toute, pleurait-elle également de joie, la joie de l’élévation de son frère. Elle était emportée dans cette valse de sentiments contraires qui ne s’arrêta qu’au moment où le vizir prit la parole. Les larmes de Néfertari, mélangées au khôl, n’étaient plus que des stigmates sur les joues de la princesse, pourtant, la beauté de Néfertari ne s’estompa pas pour autant.
La musique se tut quand le vizir vint se lever devant les deux colonnes qui encadrent le feu sacré. Khéty s’apprêtait à parler ; la foule se tut à son tour ; le silence s’établit ; les danseuses et les musiciens quittèrent la cour ; Néfertari s’en allait vers ses quartiers ; Kamosis en était bouche bée et ne pouvait détacher ses yeux des formes de la princesse.
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