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Citation de Partemps


 Tel quel
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Sur le rôle des élites intellectuelles ... En France on s’agite beaucoup autour des questions idéologiques et de telles discussions paraissent bien souvent aux yeux des Américain comme un signe d’impuissance. Seriez-vous d’accord avec un jugement de ce genre ?

Oui, dans l’ensemble vous avez raison. Ce qui me frappe surtout, c’est que malgré la conviction profonde de la supériorité du pragmatisme, de l’empirisme sur l’idéologie, il y a pas mal de débats qui sont au fond des débats idéologiques au sein de l’intelligentsia américaine. Si vous prenez, par exemple - on ne peut pas dire un mouvementent -, mais une tendance, comme celle qui est représentée par Commentary il s’agit d’une tendance idéologique, c’est-à-dire, un certain libéralisme qui vire au conservatisme, qui prend position contre une partie du Tiers Monde, contre ce qu’ils considèrent comme le déclin d’un système de valeurs dans la société américaine, etc. C’est une idéologie qui ne veut pas se reconnaître comme telle. Mais, au fond, il y a cette certitude que l’absence d’idéologie est une force. Moi, je ne suis pas d’accord. Mais, enfin, il est vrai que les Américains, en général, ont beaucoup de mal à comprendre les débats idéologiques.

Il y a aussi une tradition américaine de méfiance à l’égard des intellectuels.

Oui, méfiance, ou alors, tendance à les cantonner dans un rôle de spécialiste, ou expert. Avec d’ailleurs, quelques exceptions. Je crois que, de ce point de vue, l’intelligentsia de New York est une exception. New York est une ville européenne et vous avez des tas de clans ou de chapelles à New York qui rappellent beaucoup Paris. La différence, si vous voulez, c’est que Paris, c’est la France, et que New York n’est pas les Etats-Unis. Mais le Français qui passe quelque temps à New York se trouve chez lui vite, parce qu’il y a des clans très tranchés, il y a des querelles qui sont à la fois des querelles de personnes et des querelles d’idées. Mais cela ne se retrouve pas ailleurs et les Américains, en général, ont du mal à prendre les idéologies au sérieux. Ils ont du mal à croire qu’un ensemble de valeurs constitue une idéologie. Beaucoup de mal.

C’est peut-être aussi une question de compétence ...

Je ne suis pas sûr. Je crois que ça tient au fait que dans cette société qui s’est formée à partir d’éléments très disparates, il y avait une peur terrible de la cassure. Et il y a eu l’horrible cassure de la guerre de Sécession. D’où une espèce de volonté générale de ne pas reconnaître les différences idéologiques, de les minimiser, de créer un maximum d’homogénéité, par peur de ce qui se passerait s’il y avait des différences idéologiques. Alors qu’en Europe il n’y avait pas ce choix. Les idéologies étaient là au départ et il a fallu vivre avec. Mais ici il n’y avait pas vraiment de différences fondamentales entre les pères fondateurs - il y avait des nuances, mais pas de vraies différences. Ensuite, on a tout fait pour empêcher que les arrivages successifs d’immigrés européens ne reproduisent en Amérique les idéologies qu’ils avaient laissées derrière eux Mais il y a des différences idéologiques aux États-Unis. Ce qui est intéressant, ce n’est pas de constater qu’elles existent - elles existent partout -, c’est de voir qu’on évite de les pousser jusqu’au point où elles deviennent des systèmes idéologiques clos.

On a certainement plus tendance à considérer les différences ethniques comme plus importantes aujourd’hui qu’il y a dix ans.

Oui, c’est vrai. Remarquez, les différences ethniques ont été recréées, presque ressuscitées par le problème noir. Là, vous avez un phénomène très visible à Boston et dans d’autres villes, c’est-à-dire, les vieilles ethnies irlandaise, polonaise, etc., qui, en quelque sorte, réaffirment leur identité, devant la montée des Noirs qui sont arrivés dans les grandes villes du nord depuis vingt ans. C’est une réaction spécifique. Mais toute la tendance, depuis le début, et c’est visible dans les Federalist Papers, toute la tendance a été de multiplier les lignes de clivages, pour qu’il n’y ait pas seulement des clivages idéologiques. Si bien que l’Amérique est horriblement difficile à comprendre. Elle est beaucoup plus facile quand on peut tout réduire à deux classes ou à deux idéologies. Je crois que les Français connaissent assez peu l’Amérique et ont toujours tendance à simplifier.

Pour en revenir aux élites intellectuelles... Je suis frappée par le fait que le Français moyen semble beaucoup respecter les experts.

Ici aussi.

Mais je vois mal ici ce genre de débat télévisé entre) par exemple) un Attali et un représentant du patronat français qui touche aux aspects très techniques de l’économie. Les débats entre Ford et Carter sont tout autre chose.

Mais là il faudrait faire un certain nombre de distinctions. Je crois que dans les deux il y a un respect assez poussé des experts. Les économistes sont pris terriblement au sérieux. Mais la différence, c’est qu’en France, vous avez des castes et, au fond, la plupart des Français admet qu’elles gouvernent. Et le Français moyen ne peut que souhaiter que son fils entre dans cette élite, devienne polytechnicien, énarque ou normalien. Aux États-Unis, il n’y a pas acceptation d’un système de castes. Certainement pas d’acceptation publique. Et il n’y a pas le monopole des grandes écoles. C’est une grosse différence.

Une autre différence essentielle, c’est que la France reste un pays extraordinairement centralisé. Et, par conséquent, un débat entre deux économistes, un de gauche et un de droite, prend immédiatement une allure nationale. Alors que l’Amérique est un pays sans centre. Vous pouvez avoir un débat entre deux économistes de renommée mondiale et on le saura dans la ville où ils sont et pas dans la ville à côté. C’est une différence énorme.

Il y a aussi une différence qui est plutôt pittoresque, mais qui me frappe beaucoup. C’est qu’aux Etats-Unis, il a une séparation énorme entre l’intelligentsia et les média. Alors qu’en France, de ce point de vue-là, on est beaucoup plus élitiste. L’idéal de tout intellectuel français est de paraître à la télévision et l’idéal des média, j’ai l’impression, est d’avoir leur écurie d’intellectuels. [...]
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