[ guerre civile ]
Personne ne le verra plus this one. Pourquoi celui-là ? Personne ne saura jamais.
Pourtant il doit y avoir un pourquoi.
Celui qu'on a emmené, comme ça, lui au moins, au coin de la tête, il sait sûrement pourquoi, la Cause, le Crime. Quelque part il y a toujours un Crime, une Cause, la Faute coupable.
A moins que ce ne soit un péché premier, comme d'être Adamite ou Zélite ou Yamite. Un péché si profond, si enraciné dans l'Etre Conforme, que tu ne peux pas l'arracher. Pas de repentir. Pas d'issue. A moins d'arracher le coeur avec.
Et quelquefois, même ça, ce n'est pas assez.
(De sa poche, il sort une carte d'identité)
Tiens, la voilà la preuve. Indélébile. Pas d'issue. No help !
Voilà comment on est le péché. Là pas de doute.
Là, on voit bien : le nom du père ; là, le nom de Maman ; là, les numéros. Faciles les indices pour qui veut déchiffrer, pour savoir si tu es Zélite, Adamite ou quoi.
Alors si on est Zélite, les Adamites te tuent.
Si on est Adamite, les Zélites te tuent.
Bien sûr, l'autre il dit : 'Tu peux l'effacer, le gratter, le jeter, le brûler ce ID.'*
Ts, ts, ts, non, non, non !
Alors on devient suspect pour tous. U-ni-ver-sel !
Si tu n'as pas ton ID, alors là, no hope !
Parce que alors, les Adamites eux-mêmes n'ont plus le moyen de t'identifier, toi l'Adamite.
Alors, clac !
(Il fait le geste de zigouiller.)
(...)
Tant que tu as ton ID, tu es coupable pour certains. Tu perds ton ID, tu es coupable pour tous.
(p. 27-28)
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* ID : identity card, carte d'identité
Ce Très-Haut là, celui des Adamites, est plein de douceur, de tendresse. Un dieu de souffrances. Alors tu dois Le protéger.
C'est Lui que les bastards-Zélites veulent détruire. Contre la barbarie, il faut défendre le Très-Haut, infini et éternel.
(p. 44)
Avant de s'éteindre, le dernier survivant d'une guerre civile revit les événements. Son enfance dans un milieu où tout semble aller bien, mais où règnent des tensions confessionnelles entre deux clans : les Adamites et les Zélites.
Un jour, la guerre se déclenche : exécutions arbitraires, injustices. Les deux clans s'affrontent.
Appartenir à l'un ou à l'autre devient une tache dont on ne peut se débarrasser.
Le dernier mâle encore en vie, comme Astyanax dans Troie, l'ultime milicien, raconte et danse sur les ruines.
Il tente de reconstituer une logique des événements.
Mais sans cesse il perd le fil, sans cesse il est renvoyé à la déraison.
Cet homme - mémoire des hommes - revit la chute : la naissance de la haine, les amours balayées, les victimes devenues bourreaux, la fuite vers le néant.....
(extrait de "Répertoire du Théâtre Contemporain de langue française" de Claude Confortès et paru chez "Nathan" en 2000)
LEA - Mes larmes ont pour chacun,
Victimes et responsables de ces victimes,
La même amertume et la même douceur.