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Citation de Dorian_Brumerive


- Comment, ma mère, hasarda-t-il avec timidité, vous allez dépouiller celle pauvre fille ?... Vous allez prendre tous ses objets ?
- Pardié ! riposta la mégère... Faudrait-y pas que je nourrisse Mademoiselle gratis, et à rien faire ?
- Mais... C'est voler ! s'exclama Pierre.
- Tiens, t'es par trop bète, l'avorton. Est-ce que tu crois que je vais en faire une duchesse, de c'te p'tite ?!
Elle prit un temps, comme si elle eût voulu préparer un effet.
Puis froidement, les yeux fixés sur le visage bouleversé du rémouleur, elle ajouta :
- Faut qu'elle "travaille" dès demain !
Pierre demeura silencieux sous ce regard qui, pour lui, indiquait une résolution inébranlable, pendant que la Frochard continuait :
- Je vas lui préparer tout de suite son trousseau, car faudra déguerpir au petit jour.
Hélas ! Le rémouleur n'avait pas eu besoin d'entendre ces dernières paroles pour penser que le supplice de l'aveugle commencerait bientôt.
La mendiante ne lui laissa pas le temps de douter de ses intentions.
- Va me chercher le paquet de chiffes qu'est là-haut, dans le grenier... Tu le trouveras bien sans lumière, j'suppose, puisqu'y n'y en a qu'un.
Pierre ne bougeait pas de place.
Ce que voyant, la Frochard, les poings sur les hanches, fit un pas vers lui, en s'écriant :
- Faut-y que tu sois lâche et ſeignant pour ne pas éviter une fatigue de marcher toute une sainte journée, pour "gagner" quelques sous ! Bien, mauvais cœur, j'y vas moi-même !
Elle se dirigea, en jurant, vers l'escalier qu'elle fit craquer sous ses pas lourds.
Pierre s'élança pour la retenir par la jupe.
Il venait de réfléchir que la vieille femme ne s'inquiéterait guère de réveiller Louise en sursaut, si toutefois la pauvre fille, succombant à la fatigue, avait pu s'endormir.
Il se résignait à obéir.
Il était bien certain, lui, qu'il saurait marcher assez doucement pour ne pas interrompre le sommeil de sa protégée. Aussi eut-il, malgré son infirmité, des précautions de chat, pour gravir les marches sans faire crier le bois. Il ouvrit la porte, en la tenant soulevée, car il savait que les gonds rouillés grinçaient en tournant.
Et, lentement, il s'introduisit dans le grenier.
Il y faisait presque clair.
Un faible rayon de lune, filtrant entre les essentes disjointes de la toiture, venait se jouer sur la botte de paille et la misérable couverture qui composaient le grabat de Louise.
Pierre passa comme un fantôme devant ce grabat, sans oser tourner les regards vers la dormeuse...
Il retenait son haleine, de peur que la jeune fille pût se douter que quelqu'un eût osé s'introduire dans l'endroil où elle reposait... Le cœur du brave garçon battait bien fort, et sa main tremblait lorsqu'il saisit le paquet de baillons qu'il souleva sans bruit... Chargé de son fardeau, il voulut regagner la porte au plus tôt.
Mais il lui sembla que, maintenant, ses jambes allaient se dérober sous lui...
Il s'arrêta une seconde, pour se remettre...
Il était, sans s'en rendre comple, si ému, si troublé, qu'involontairement, ses regards se portérent sur la jeune fille...
Le visage de la dormeuse saillait, à peine éclairé, sur le sale de la couverture qui recouvrait tout le reste du corps... Pierre contempla ces traits qui, pendant le sommeil, avaient conservé l'expression d'une profonde tristesse... Ce visage reflétait toutes les émotions éprouvées, toutes les transes, que venait de subir la jeune fille...
Il sembla même à Pierre que la dormeuse sanglotait en rêvant..
La poitrine de Louise se soulevait sous l'effort d'une respiration saccadée, et l'on devinait que le corps était violemment agité, sous l'influence de quelque rêve douloureux.
- Pauvre fille ! pensa le rémouleur.
Une larme s'échappa de ses yeux, et il s'éloigna, en soupirant, du grabat de l'infortunée...
Tout à coup, au moment de refermer la porte derrière lui, il s'arrêta de nouveau pour écouter...
Il lui avait semblé entendre parler dans le grenier.
Il ne se trompait pas...
C'était Louise qui, dans son sommeil, murmurait :
- Henriette !... Me voici !... Pourquoi... m'as-tu... abandonnée ?... Henriette !... Sauve-moi !... Sauve-moi !...
- Qu'est-ce tu fais donc là, planté comme un pieu ? cria la Frochard en interpellant son fils... Est-ce qu'y faut que j'aille t'aider, feignant ?
Le rémouleur descendit l'escalier, toujours en ayant soin d'assourdir le bruit de ses gros souliers ferrés.
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