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Citation de Dorian_Brumerive


Au bout de quelques minutes, il se fit un bouillonnement à la surface de la lame...
La tête du requin émergea de l'écume... Tiré vigoureusement, le monstre semblait nager avec fureur, comme s'il eût voulu s'élancer sur le pont du navire...
- Au large, vous autres ! commanda le quartier-maitre.
Et aussitôt il y eut un mouvement rapide de recul parmi les femmes. Marianne, involontairement, s'était cramponnée au bras du lieutenant.
S'apercevant alors de ce mouvement, dont elle n'avait pas eu conscience, émotionnée comme elle l'était, elle s'empressa de s'éloigner de Charles d'Ouvelles.
Mais lui l'attira de nouveau en lui disant :
- N'ayez pas peur; il est mort.
Mais comme pour lui donner un démenti, la tête du requin, en arrivant au bordage eut un effroyable grincement des mâchoires.
Il fallait prendre, à ce moment-lå, des précautions indiquées, afin d'éviter les accidents; car, mis à sec, le requin devient furieux, son agonie est parfois terrible, épouvantable. (...)
Lorsqu'il parut au haut du bordage, une clameur de joie s'éleva et chacun se mit à applaudir.
Au bruit qui se faisait sur le pont, le médecin-major avait quitté sa cabine et accourait.
Lorsqu'il eut aperçu le requin, il s'avança en s'écriant :
- Ne l'abîmez pas !... Ne l'abîmez pas !... Je vais le disséquer proprement; et nous aurons là un magnifique spécimen.
- Mais, interrompit le commandant du bord, je me proposais d'offrir la tête de ce monstre-là au gouverneur de la Louisiane.
- Vous lui offrirez le squelette tout entier, mon ami...
Tous les vieux loups de mer qui se trouvaient parmi l'équipage accueillirent l'idée du médecin avec un grognement qui signifiait qu'on leur enlevait ainsi leur part de la prise.
Aussi le pêcheur, le quartier-maitre, et quelques matelots qui tenaient les cordes qui entouraient le poisson, se relâchèrent-ils des précautions observées jusque-là, croyant le monstre passé de vie à trépas.
Du reste, le requin demeurait dans la plus grande immobilité, et il y avait lieu de croire qu'il était bien mort.
On commençait déjà à s'approcher de lui sans terreur.
Les passagères, curieuses de voir la structure de cette formidable mâchoire, avançaient la tête...
Et c'étaient des exclamations de surprise et d'effroi.
Le médecin-major était allé chercher sa trousse pour procéder à la dissection.
Il revenait juste au moment où les marins avaient placé des baquets d'eau de mer et des éponges pour étancher le sang qui ne pouvait manquer d'inonder le pont, lorsque commencerait l'opération.
Tout à coup, le requin fit un bond prodigieux, portant ainsi la confusion et la terreur dans l'assistance.
Le monstre se réveillait, formidable.
Les femmes s'étaient enfuies en poussant des cris d'alarme...
Les matelots eux-mêmes, connaissant les habitudes du squale, avaient pris la précaution de se dissimuler, qui derrière les mâts, qui derrière la clairvoie de la dunette; d'autres derrière les cages à poules qui se trouvent sur le pont et où l'on conserve la volaille vivante pour la traversée.
Le lieutenant d'Ouvelles était demeuré à quelques pas du requin. Seul le contre-maître avait couru à la salle d'armes et décroché une hache d'abordage...
Il arrivait, brandissant son arme.
Et, lançant un regard ironique au docteur qui n'était rien moins que rassuré :
- C'est moi qui vais disséquer ce marsouin-là, s'écria-t-il.
Puis, fonçant sur le requin, la hache haute, il appliqua un coup terrible qui lui brisa l'épine dorsale, à l'endroit de la nuque. Et renouvelant cette formidable attaque, à l'endroit même de la blessure, il sépara la tête du reste du corps...
Les chairs du monstre eurent un frémissement d'agonie; et ce corps décapité sursauta sur le pont...
Mais un cri de stupeur et d'effroi s'échappa de toutes les poitrines, lorsqu'on vit cette tête, mâchoires ouvertes, s'élancer et incruster sa double rangée de dents dans le bois du grand mât.
Cette gueule se referma sur le bois dur, et la contraction de l'agonie se produisant, la tête du requin demeura fixée au mât, sanglante, les yeux ouverts avec ses regards fixes...
Il y avait bien là de quoi terrifier toutes ces femmes, qui, jusque-là, n'avaient pu se faire aucune idée d'un monstre de cette espèce.
C'est à peine si quelques-unes d'entre elles avaient entendu prononcer le nom de ce squale vorace.
Marianne était de ce nombre.
Elle s'était, comme toutes les autres, réfugiée du côté de la dunette, et le hasard l'avait placée, cette fois encore, assez près de M. d'Ouvelles et du médecin.
Ce dernier était furieux de ce que le requin avait été décapité par le quartier-maître qui grommelait entre ses dents :
- "Requin qui se défend, grand vent !...
Requin qui perd la tête, tempête !
Requin qui reprend l'eau, chaloupe à l'eau !"
- Qu'est-ce qu'il dit là ? demanda Marianne au lieutenant.
Ce fut le médecin-major qui répondit:
- Ils ont comme ça, dans leur Basse-Bretagne, un tas de vieux proverbes et de légendes qui n'ont ni queue ni tête...
Mais la parole s'arrêta net sur les lèvres du sceptique docteur.
Le corps du requin, dans une dernière convulsion, venait de faire un bond prodigieux : il passa par-dessus le bastingage et disparut dans les flots, au milieu d'un jaillissement d'écume...
La stupeur était générale.
Le quartier-maître devint subitement påle.
En vrai Bas-Breton qu'il était, il se signa et, les yeux levés au ciel, il murmura :
- "Requin qui reprend l'eau, chaloupe à l'eau."
Cette fois, Marianne éprouva un tressaillement subit.
Elle regarda le lieutenant.
Celui-ci s'efforça de sourire et haussa les épaules.
L'incident de la tête du monstre continua de préoccuper l'assistance.
Cependant le commandant avait donné l'ordre de faire rentrer les captives dans l'entrepont. Puis il avait voulu faire disparaître cette hideuse tête qui s'obstinait à mordre le måt. Mais c'est en vain qu'on l'attaqua à coups de hache; les chairs volèrent en une bouillie éclaboussant les matelots; les os furent broyés; on eut beau frapper à tour de bras, on ne parvint pas à faire lâcher prise à ce qui restait de la hideuse mâchoire.
Force fut de laisser les dents incrustées dans le bois.
Pour les arracher, il eût fallu attaquer le mât lui-même à coups de hache. Les matelots étaient silencieux, car le quartier-maître avait toute leur confiance; et le vieux marin disait tout haut qu'il aurait donné toutes ses épargnes du voyage pour n'avoir pas rencontré ce maudit animal.
Et il répétait en secouant la tête :
- Triste présage !... Triste présage !
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