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Citation de enkidu_


Les écrivains qui prétendent expliquer l’influence de Marx en se référant exclusivement aux gros volumes qu’il a publiés nous dupent. Mao Tsé Toung lui-même n’avait lu qu’un texte très court : Le Manifeste communiste. De toute l’œuvre du maître, l’immense majorité des marxistes n’a rencontré que quelques formules sommaires ou inexactement citées. « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ». « L’histoire est l’histoire de la lutte des classes ». « L’aliénation est dans l’acte de la production ». « Ce qui importe n’est pas de comprendre le monde, mais de le transformer ». « L’humanité se pose seulement les questions qu’elle est en mesure de résoudre. » A travers ces formules s’expriment des sentiments — une foi dans la mission du prolétariat, un goût de la contestation radicale, une haine des systèmes politiques établis — et ces sentiments puisent leur force dans le tempérament de l’homme Marx. Plus tard, les aspects aliénants des régimes communistes répondront aux aspects aliénants de sa pensée. Son messianisme préparait un impérialisme. La « science prolétarienne » a été à la fois une suite et une sanction de son orgueil. Le centralisme et la prétention à l’autorité internationale qui caractérisent la tyrannie soviétique prolongent l’attitude de l’homme qui préféra dissoudre l’Internationale socialiste plutôt que de la laisser se diviser en sections.

Au départ, le jeune Marx était, comme il était naturel à son âge et à son époque, un romantique. Il écrit à son père qu’il veut « remonter à la lumière du jour la perle des perles ». Quelle perle ? La grande intuition par laquelle il va retourner le système de Hegel en substituant à l’idéalisme du philosophe le concret et la praxis. Mais de ce prétendu concret, il va faire, à travers son système, un abstrait. Ce tour de passe-passe d’un grand prestidigitateur a longtemps émerveillé et dupé les spectateurs — jusqu’à les rendre indulgents aux conséquences de l’imposture.

Cependant, depuis une génération, des marxistes, épouvantés par ces conséquences, ont recouru à Marx contre lui-même, en utilisant ses manuscrits de jeunesse. Il y a bien eu vers 1844 un Marx « humaniste », mais ce n’est pas ce philosophe « mort jeune » (comme disait Arnaud Dandieu) qui a influencé le monde. S’il n’y avait eu que lui, le nom de Karl Marx ne serait même plus connu. D’ailleurs, on n’a pas le droit de déposséder un homme de son évolution. Or si l’on trouve bien encore chez le Marx de la maturité des phrases qui rappellent sa première période, elles sont surtout de couverture et d’alibi. Ce qui se dégage de l’ensemble de ses écrits, c’est un déterminisme social rigoureux, accompagné d’une incitation au radicalisme et à la violence. « Dans la production sociale de leur vie, les hommes contractent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté. » Cette phrase caractéristique figure dans Le Matérialisme dialectique. On pourrait en citer beaucoup d’autres, analogues, dispersées à travers ses écrits. Certes, Marx propose de hâter le fonctionnement de ce déterminisme par l’intervention de la volonté (comme la pensée chrétienne cumule la liberté et la grâce) mais dans son système fermé, le déterminisme primordial transforme la volonté elle-même en esclave. Il ne voit à travers l’Histoire que des agents de forces historiques impérieuses. Le capitalisme naissant, ou la Grande-Bretagne colonisant l’Inde, ont été à ses yeux des facteurs de progrès. Les abus d’hier — ceux même dont il s’indignait — étant ainsi, en quelque sorte, innocentés, ceux de demain — ceux des régimes communistes — le seront aussi.
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