Il a fallu bien du temps, une dizaine d'années, avant que Ali Bader soit enfin traduit en français. Et, logiquement, c'est le premier de ses 11 romans, Papa Sartre, qui a eu cet honneur, en espérant que d'autres ouvrages suivront très vite. Le plaisir de lecture est immédiat. Autant sur la forme : une biographie fictive enchâssée dans un récit contemporain qui joue la carte du mystère ; et autant sur le fond : la description minutieuse du microcosme des intellectuels de Bagdad dans les années 60 dont la principale activité était d'imiter jusqu'à la caricature l'existentialisme sartrien. Ou comment passer ses journées en ayant la nausée en permanence. Tout en précisant que la version irakienne est, comment dire, particulière, avec une propension à profiter de tous les plaisirs de la vie. Ali Bader se régale à nous faire découvrir ce petit monde, snob, prétentieux et arrogant dont la vacuité philosophique n'a d'égal que la fatuité. Il est très moqueur, notre auteur, d'une ironie cruelle qui donne à son livre une pulsation de tous les instants et un rythme qui ne faiblit pas. Mais derrière une certaine légèreté, Ali Bader capte aussi un bout de l'âme irakienne, avant Sadam Hussein, celle d'un pays au carrefour des influences musulmanes, juives et chrétiennes, et où chacun était libre d'exprimer ses opinions et ses idées sans craindre de représailles.
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Trois individus, dont Hanna Youssef et son amie surnommée Nounou Bahar parviennent à convaincre le narrateur, écrivain, de rédiger la biographie d’un certain Abdel-Rahman Shawkat, pseudo philosophe existentialiste qui eu son heure de gloire au tournant des années 50 et 60 à Bagdad.
Se rendant compte du caractère louche de l’entreprise des commanditaires, l’écrivain accepte toutefois le travail pour sa rémunération.
La tâche du biographe s’annonce compliquée car le philosophe n’a pas laissé d’écrits préférant palabrer, boire, tromper son épouse avec les prostitués dans les bars, cabarets et maisons closes au milieu d’une cour d‘auditeurs hétéroclites. Toutefois de nombreux dossiers fournis par les instigateurs de la biographie vont le guider chez diverses personnes ayant connus le maître, issu d’une famille d’aristocrates et ayant vécu quelque temps à Paris, quartier latin.
Roman dans le roman, les chapitres concernant les mésaventures du biographe englobent au début et en fin de livre la biographie elle-même d’Abdel Rahman donnant une articulation particulière à l’ouvrage.
Ali Bader se défend particulièrement bien lorsqu’il peint la société irakienne des années 50/60, la classe aisée surtout par sa volonté de s’occidentaliser jusqu’au ridicule. Où l’on lit que la plupart des étudiants envoyés à Paris ne reviennent jamais diplômés et, cherchant à revenir en Irak au moins avec une jeune française, se cassent les dents par manque d’expérience et/ou de maîtrise des codes sociaux.
C’est le personnage principal qui bénéficie naturellement le plus de cette ironie : c’est en découvrant une biographie de Sartre contenant de nombreuses photos qu’Abdel-Rahman déduit faire partie d’une grande lignée de philosophes car lui-même, son père, sa mère, son oncle ressemblent physiquement à Sartre et sa famille. Lui rentre avec une jeune française dont il se persuade qu’elle est cousine de Sartre parce que parisienne, selon les codes de fonctionnement des tribus arabes : elle est en réalité bonne chez les hauts-fonctionnaires.
Ironie, humour, truculence jalonnent cette déclinaison de personnages, tandis qu’une certaine compassion et de l’empathie émergent également de certains passages.
Ce roman qui vient d’être traduit en France est sorti en 2001 ; c’est le premier d’une longue liste de cet auteur irakien de 37 ans, très prolifique, qui occupe depuis 20 ans la scène littéraire du monde arabe.
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