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Citation de Partemps


Anaëlle Lebovits-Quenehen
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Si l’existence que mène l’intellectuel prouve assez qu’il ne fait pas de la vie en tant que telle, de la vie pour la vie, sa valeur suprême, la chose lui apparaît d’autant plus importante à affirmer que la période fut celle de la protection de cette vie, celle que nous avons en commun avec les animaux et les plantes, et que le Grec épingle du terme de zoé, celle-là même qui fait, chez Aristote, le substrat de la vie proprement humaine, bios, et qui met en jeu l’intellect dans sa double dimension épistémique et éthique. Le confinement fut le temps de la promotion de la première (zoé), « qui, pour peu qu’on lui garantisse sa survie, était prête à céder sur tout le reste (prières, respect des morts, libertés, balcons et fenêtres sur cour par où nos voisins, quand ils ont fini d’applaudir les soignants nous épient). » [2] B.-H. Lévy subvertit donc ici la perspective aristotélicienne sur le sujet (celle du De Anima) selon laquelle l’esprit trouve sa matière et sa condition de possibilité dans le vivant : « L’âme est la réalisation première d’un corps naturel qui a potentiellement la vie. » [3] Non, le substrat de l’intelligence de B.-H. Lévy n’est pas la vie organique, ou pas seulement, elle réside aussi, oserais-je dire plus essentiellement, dans sa colère – j’y insiste puisque le livre s’achève sur l’affirmation de cet affect vivace. Selon Lacan, la colère est suscitée « chez le sujet, quand les petites chevilles ne rentrent pas dans les petits trous. » [4] Or cette colère a trouvé, dans la période du confinement, de quoi croître et se multiplier, comme il l’indique, sur plusieurs points – j’en relève encore deux.

Premièrement, devant le réel du virus, « hors-sens » comme l’auteur le note à juste titre (citant là Lacan comme à plusieurs reprises dans son livre), le sens n’a pas manqué de proliférer, les uns et les autres y allant de leurs interprétations obscènes du « message » que Dieu, le Monde ou la Terre – c’est selon – nous envoyait pour nous enjoindre, par la grâce du fléau (et des leçons que nous devions en tirer), à vivre plus et mieux, à chercher et à trouver l’occasion de se tenir enfin correctement, comme si la Providence nous avait envoyé la mort pour rappel à l’ordre, comme dans « Les Animaux malades de la peste », avec en ligne de mire le sacrifice que l’on sait. Mais pire encore – et cela va de pair, comme La Fontaine nous l’indique dans sa fable – le conspirationnisme allait bon train : « Un pas de plus et ces profiteurs de virus, pris dans le vent de conspirationnisme qui soufflait sur le monde, partaient à la recherche, non plus du patient souche, mais du coupable zéro » [5]. Et il est vrai qu’on a récemment vu le sens proliférer de façon diversement extravagante, mais presque toujours haineuse, comme si la haine, qui fait décidément feu de tout bois, avait trouvé dans le virus une nouvelle occasion de se manifester, comme si elle n’attendait que ça – les réseaux en sont à nouveau témoins.
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