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Citation de Partemps


L’infini et l’inachevé

L’infini et l’inachevé a d’abord été publié en 1951 dans la revue Critique, à l’occasion de la publication
par Henri Guillemin, sous le titre Pierres (Éditions du Milieu du Monde, 1951), de fragments inédits de
Victor Hugo, qui avaient écartés d’un précédent recueil de fragments (Océan, Albin Michel, 1942).


(…) Le fragment touche chez lui à quelque chose d'essentiel. Il semble que cette hantise
de l'infini, de l'ininterrompu, qui marque si fortement son œuvre, doive toujours aboutir,
par une dialectique étrange, à précipiter une sorte d'interruption perpétuelle. Le désir
immense de l'éternel, du continu, ne peut se satisfaire qu'en englobant son contraire. Il
devient immense solution de continuité. Cette brusque mutation passe souvent
inaperçue à la lecture : elle est pourtant à la source d’un certain sentiment vertigineux
inhérent à l’œuvre de Hugo en général. L’infini, devenant l’inachevé, se disloque
brutalement en éclats. Ses textes avancent par secousses, vont de l’avant en franchissant
des séries de coupures auxquelles rien ne prépare, des dénivellations brusques, des
désastres inattendus déjà consommés, des failles qui sont comme les marges mêmes de
ce mouvement d’expansion, de cette diffusion vague, qui, en effet, pourrait être
interminable, à laquelle Hugo commence toujours par s’abandonner. L’infini
interrompu se contacte et se ferme sur une réalité d’une précision hallucinatoire…
« linéaments » diffus, « griffes » éparses qui soudain se resserrent et s’abattent. Il y a là
un va-et-vient assez inexorable dont on ne se lasse pas et qui n’appartient qu’à Hugo.
Voyez la liste, dans Pierres, où il passe en revue toute cette cavalerie de mots fourbus
alignés comme des rimes : « étonnant, extraordinaire, surprenant, surhumain, inouï,
formidable, colossal, difforme, effaré, frissonnant… ». Après quoi, par exemple, « les
petites fleurettes vertes du papier nankin arrivaient avec calme et ordre jusqu’à ces
barreaux de fer, sans que ce contact funèbre les effarouchât et les fît tourbillonner » (Les
Misérables). L’ineffable se resserrant jusqu’à trouver sa substance, à donner prise aux
mots, se faisant aussi infinitésimal que les mots ou que cette anse en bordure de l’océan,
« où l’on apercevait… quelques grosses coques démâtées et sabordées, dressant au-dessus de leur bordage troué de claires-voies les pointes courbes de leur membrure
dénudée, assez semblables à des scarabées morts couchés sur le dos, pattes en l’air »
(Les Travailleurs de la mer). Les phrases de Hugo chavirent de la sorte entre une
étendue que les mots n’arrivent pas à étreindre, où ils croulent en débordements
d’adjectifs battant de l’aile dans le vide, et ces fragments, à leur échelle, où ils arrivent à
se poser avec une précision sauvage. Les parties fermes se trouvent ainsi éparses dans
tout ce qu’il sait devoir échapper aux mots et dont, pour sa part, il ne craint jamais de
trop parler. (…)
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