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Citation de Charybde2


appendice 17
sur le second paradoxe de Zénon
Les personnes que Marcel aime sont des gens en mouvement. Comme Albertine – toujours en train de filer à bicyclette, en train, en voiture, à cheval ou de s’envoler par la fenêtre ; comme la mère de Marcel – perpétuellement en train de monter l’escalier pour aller lui souhaiter bonne nuit ; comme sa grand-mère – qui arpente le jardin tous les soirs pour entretenir sa santé même quand il pleut à verse ; ou comme son ami Robert de Saint-Loup – qu’on aperçoit la première fois en train d’escalader la banquette dans un restaurant pour apporter un manteau à Marcel, qui reste assis, tout frissonnant, au bout de la table. Marcel est le centre immobile de toute cette activité cinétique, il est comme la flèche qui vole dans le second paradoxe de Zénon, que l’arc décoche mais qui n’atteint jamais sa cible parce qu’elle n’est pas en mouvement. Pourquoi la flèche de Zénon n’est-elle pas en mouvement ? Parce que (c’est l’explication d’Aristote) le mouvement de la flèche est constitué d’une suite d’instants, et à chaque instant la flèche emplit l’espace entier de cet instant, et c’est là (comme dirait Zénon) une description de l’immobilité. Donc, si vous additionnez tous les instants de l’immobilité, ça ne bouge toujours pas. Personne n’irait nier que le roman de Proust ruisselle de temps, et de flèches partant dans toutes les directions. Mais on pourrait également envisager le roman entier comme un immense moment figé, puisqu’il faut à Marcel les trois mille pages de l’histoire pour arriver au point initial où il se met à l’écrire. À la dernière page du livre il décoche sa flèche mais surpasse Zénon, il la tire en arrière, puisque vous venez juste de finir de lire le roman qu’il se propose d’écrire. Ca me donne un peu mal à la tête de penser longtemps à Zénon et à ses paradoxes, même si son élocution pince-sans-rire me plaît. Voici un verre d’antidote-Zénon par ce proustien dévoué, le réalisateur Chris Marker (Sans soleil) : « C’est ainsi qu’avance l’histoire, en se bouchant la mémoire comme on se bouche les oreilles […] un instant arrêté grillerait comme l’image d’un film bloquée devant la fournaise du projecteur. »
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