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Citation de Cielvariable


Dans le pays de neige, près des ruines de Shola, alors qu'Asbeth était sur le point de s'emparer de la fille de l'Empereur Noir, l'intervention des Chevaliers d'Émeraude avait une fois de plus fait échouer les plans du sorcier d'Amecareth. L'Immortel Nomar avait ensuite emprisonné l'homme-oiseau dans une bulle d'énergie dont il ne pouvait sortir malgré la puissance de sa sorcellerie. Maudissant les humains et les êtres magiques qui les protégeaient, Asbeth plana longuement dans les airs avant de s'écraser sur les terres glaciales au bout du monde. Les pouvoirs du mage noir pouvaient le maintenir en vie pendant un long moment, mais s'il ne se libérait pas rapidement de la membrane enchantée qui l'immobilisait, il mourrait comme tous les mortels.
Pendant des mois, Asbeth employa tous ses efforts à se dépêtrer. Grâce à ses sombres facultés, il finit par percer le mur invisible de son cachot et s'écroula dans la neige. À bout de forces, il dut recourir à ses griffes et à son bec d'oiseau pour se nourrir, saisissant les petits rongeurs au pelage épais qui passaient près de lui à la recherche de leur propre pitance dans ce désert de froid. Chaque fois qu'il capturait son repas, le sorcier haïssait davantage les Chevaliers d'Émeraude responsables de son infortune.
Ce fut surtout sa colère qui réchauffa l'homme-oiseau dans cet endroit inhospitalier. Dès qu'il eut repris son aplomb, il chercha à s'orienter. Il devait retourner à la forteresse d'Amecareth, afin de lui raconter de quelle façon sa fille, désormais plus humaine qu'insecte, l'avait trahi. Jamais l'empereur ne pourrait mettre ce monstre mauve au pas, car elle avait trop longtemps subi l'influence de la vermine.
Asbeth connaissait la direction d'Irianeth, mais il savait aussi qu'il en était séparé par de nombreuses terres désertiques. Inutile de demander du secours : depuis des millénaires, le peuple des insectes vaquait à ses occupations quotidiennes sans se préoccuper du sort de ses membres individuels. Lorsque l'un d'eux tombait, on le remplaçait et on l'oubliait.
Il entreprit donc le long trajet de retour, d'abord à pied, puis se servant de ses ailes dès qu'il les sentit suffisamment fortes. Les vents lui étaient contraires, mais rien ne pouvait plus le détourner de sa nouvelle mission. Il devait convaincre Amecareth que sa fille Narvath représentait un danger pour sa domination du monde et obtenir officiellement sa permission de lui trancher la gorge. Du même coup, il exécuterait un à un les Chevaliers qui la protégeaient, puis il réglerait le sort des maîtres magiciens et des Immortels qui n'avaient cessé de contrecarrer les desseins de son maître depuis le début de son règne.
Il survola le territoire enneigé pendant près de quatre ans, ne se posant que pour dormir, boire et manger. Mais, étant à demi-insecte, il ne calculait pas le temps comme les humains. Le climat se réchauffait graduellement. Il rencontra une colonie de curieux petits êtres, pas plus grands que des enfants humains, vivant dans des trous dans la neige. Asbeth se posa au milieu de leur village. Il leur causa une telle frayeur qu'ils se dispersèrent en catastrophe et plongèrent dans leurs abris. Heureusement, ils n'emportèrent pas leur butin avec eux. Le sorcier s'approcha de l'étrange bête qu'ils avaient sans doute capturée sur la banquise. Aussi gros qu'un dragon noir, cet animal marin avait la peau lisse, grise et parsemée de taches noires. Asbeth le flaira pour s'assurer que la vie l'avait bien quitté. La créature couchée sur la neige possédait de longues griffes, et le sorcier ne pouvait pas se permettre d'être blessé à ce moment critique de son périple.
Rassuré, il dépeça le flanc de ce gibier avec son bec. Cette viande était nettement plus nourrissante que celle des rats des neiges. Autour de lui apparurent aussitôt les lances acérées des mâles de cette espèce miniature qui sortaient prudemment de leurs trous pour reprendre le produit de leur chasse. Asbeth arracha une généreuse portion de la chair de l'animal et s'envola avant d'être lui-même abattu.
Le sorcier rencontra ensuite de nombreux villages semblables, ce qui lui permit de devenir un habile pilleur. Ses plumes noires reprirent graduellement leur éclat. Il accumula une couche de graisse sur ses os et put rester en vol de plus en plus longtemps.
Quelques semaines plus tard, il atteignit l'océan glacé au nord de Shola. Des troupeaux d'énormes dragons blancs, surtout composés de femelles et de leurs petits d'une part et de jeunes mâles d'autre part, sillonnaient les vagues sombres. C'était trop risqué de s'attaquer à ces bêtes gigantesques. Il trouverait bien autre chose à manger sur le continent, de l'autre côté de la nappe d'eau.
Il prit son envol et combattit les vents froids pour enfin discerner un territoire familier : le cratère du Royaume des Ombres, qu'il avait créé en faisant exploser tous les tunnels de la ville souterraine des hybrides. Il s'y posa, assoiffé et affamé. Une rivière coulait encore au fond du trou béant et il s'y désaltéra. Un mouvement sur la corniche attira son attention. Ses yeux perçants distinguèrent aussitôt la silhouette d'êtres humains, probablement des pillards qui fouillaient les alvéoles autrefois habitées par les enfants du maître. Asbeth aurait pu régler leur compte à ces détrousseurs, mais c'était bien inutile. Nomar avait sûrement quitté la région. Sans l'intervention de cet Immortel, les Espéritiens allaient tous mourir.
Il ne restait pas plus de nourriture au Royaume de Shola, dévasté plusieurs années auparavant par les dragons. Cependant, dans la vallée, au pied de la falaise, s'étendaient de vertes forêts peuplées d'Elfes et de petits animaux. Asbeth décida donc de dormir dans une des grottes formées par les tremblements de terre dans la chaîne de montagnes séparant Shola du Royaume des Ombres. Il ne se remit en route qu'au lever du soleil.
Dès qu'il eut franchi la muraille de pierres séparant les pays du Nord de leurs voisins du Sud, le sorcier sentit la brise chaude jusqu'au fond de ses plumes. Il survola la forêt avec un regard intéressé, puis se percha sur une branche pour observer la vie au sol. Il fondit sur une famille de cochons sauvages, égorgeant facilement quelques-uns des petits d'un seul coup de patte, malgré les cris de colère des parents qui prenaient la fuite avec les survivants.
Asbeth avala goulûment la chair sanglante en prévision de sa traversée de l'océan de l'Ouest, en direction d'Irianeth. Il avait quitté les siens depuis longtemps déjà. Un autre sorcier servait-il désormais Amecareth ? Aurait-il un rival à détrôner en arrivant au palais de l'empereur ? Ce défi fit bouillonner le sang dans ses veines. Il s'éleva vers l'océan, dont il flairait déjà les vents salés. Pas question de communiquer par télépathie avec son maître tant qu'il se trouvait sur le territoire des Chevaliers d'Émeraude, car ces magiciens pouvaient intercepter ses messages.
Il se posa sur la plage de galets où Wellan avait bien failli le tuer plusieurs années auparavant. Cet insolent soldat humain serait le premier à mourir de sa main, tout de suite après Narvath. Il jeta un dernier coup d'œil au continent des hommes et s'élança. Il retrouva aussitôt les vents familiers en provenance de sa propre contrée. Le soleil descendit lentement dans les vagues et Asbeth se mit à planer sous une pléiade d'étoiles, sans la moindre inquiétude. Il connaissait bien ces cieux, il se dirigeait instinctivement vers chez lui.
Aux premières lueurs de l'aube, la côte rocailleuse de son pays se détacha du brouillard. Les dragons, qui se déplaçaient en troupeaux sur la grève, levèrent la tête à son passage. Fatigué, Asbeth se posa devant l'entrée de l'immense ruche creusée à même la montagne. Les soldats-insectes qui la gardaient échangèrent un regard inquiet. En tendant les ailes de chaque côté, le sorcier les écarta de son chemin et pénétra dans l'antre d'Amecareth.
Les ouvriers poursuivaient leur travail dans le dédale de couloirs arrondis sans se préoccuper de ce qui se passait autour d'eux. Asbeth n'allait pas se présenter devant son maître avant d'avoir d'abord lustré ses plumes et enfilé une tunique neuve. Déchirée à plusieurs endroits, celle qu'il portait aurait certes suffi à commenter ses malheurs en terre étrangère. Mais l'homme-oiseau était fier : il ne laisserait jamais paraître ses faiblesses devant l'empereur.
Il trouva son alvéole inchangée. La surface sombre du gros chaudron ensorcelé fumait même encore. Il la consulterait plus tard. Il cracha des ordres dans une langue à mi-chemin entre celle des insectes et celle de son peuple d'oiseaux. Ses serviteurs accoururent. Ils ne semblèrent ni surpris ni heureux de le revoir et s'affairèrent immédiatement à le dévêtir et à le nettoyer.
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