Annejet van der Zijl

Depuis 1932 la fédération des éditeurs de livres néerlandais offre chaque année par le biais des librairies pendant "La semaine du livre" aux bons clients un livre gratuit. Cette année, c'est l'écrivaine Annejet van der Zijl qui a été honoré de la préparation de cet ouvrage, distribué du 7 au 15 mars à tout amateur de livres (en principe à partir d'un achat de 15 €,).

Grâce à un accord entre les éditeurs et la Compagnie des chemins de fer des Pays-Bas (NS), muni d'un exemplaire de "Leon & Juliette", le dimanche 15 mars 2020, vous voyagez gratuitement en train sur simple présentation du livre. Comme l'explique la NS dans un pub : vous montez dans le train et vous commencez à lire ; arrivée à destination ou vous sortez du train, ou vous lisez d'abord encore un chapitre".

Une initiative qui mériterait d'être suivie en France, n'est-ce pas SNCF ?



Bien qu'il soit peu probable que ce petit livre de 95 pages soit traduit en Français, j'ai pensé que cette histoire authentique d'il y a 2 siècles mérite un petit résumé.



En l'été 1829 à Charleston dans la Caroline du Sud aux États-Unis, notre héros Leon se prépare plein d'appréhension et d'inquiétude à un duel en se posant la question ce qu'il adviendra de son épouse Juliette et de leurs enfants s'il perd et se fait tuer. D'autant plus que les duels sont légalement interdits. Huit ans plus tard, en 1837 à Saint-Pétersbourg, un poète de génie, Alexandre Pouchkine, arrivera ainsi lamentablement à sa fin précoce, à l'âge de seulement 37 ans.

Sur le duel de Leon, on ne sait pas grand chose, sauf qu'il a survécu.



Leon Herckenrath était né avec le XIXe siècle à Monster en Hollande du Sud comme fils d'un toubib allemand qui était resté aux Pays-Bas après avoir marié Alida d'Amsterdam, la mère de Leon. Après la mort de son père à 41 ans, Leon le benjamin d'une famille de 7 enfants voulait essayer sa chance outre-Atlantique. En 1818 il débarqua d'un voilier à Charleston, surnommé "Little London" et le port principal sur la côte est d'Amérique. Leon était un immigré à part : ni un pauvre misérable, ni un aristo. Très vite il trouva un logement auprès du fortuné James Magnan, un propriétaire de plantation d'origine française.



À cette époque la Caroline du Sud était l'État qui comptait le plus d'esclaves du monde et selon un voyageur suédois 2 tiers de la population de Charleston avaient la peau foncée (noirs et métisses) et les "darkies" n'avaient pas plus de droits que le bétail domestique.



Le 20 octobre 1820, James Magnan vendait sa petite esclave, Juliette McCormick de 11 ans pour 1000 dollars à Leon, qui par acte officiel accorda la liberté à elle et ses éventuels descendants. Trois ans plus tard Leon et Juliette se marièrent lors d'une petite cérémonie secrète dans une église catholique. La mariée avait 14 ans. En 1824, Juliette mettait au monde leur première fille, Virginie, et 2 ans plus tard une seconde fille Adele. Une 3e fille, Constantia, était née en 1828 et leur fils, Gerard, en 1831.



Pour Leon, qui s'était lancé avec succès dans le commerce, être considéré comme un "nigger lover" aurait été non seulement un désastre pour ses affaires, mais en plus extrêmement dangereux pour tout le monde. À la suite de la rébellion de l'esclave Nat Turner (1800-1831), le racisme dans les États du sud devenait de plus en plus fanatique. Ĺ'année de la pendaison de ce Turner, une loi fut par exemple adoptée qui rendait punissable toute forme d'enseignement aux noirs. Fuir était exclu car trop périlleux et Leon se voyait obligé de bien cacher sa petite famille et de mener une double vie.



La solution qui sera retenue pour sauvegarder le clan est le départ clandestin de l'un après l'autre des enfants aux Pays-Bas dans le domaine familial et aux bons soins de la mère de Leon. Après tous les gosses ce fut le tour de Juliette d'entreprendre la grande traversée. Elle avait 25 ans et n'était jamais sortie de Charleston. Aux Pays-Bas on ne regardait, en ces temps, pas les "blacks Herckenrath" avec animosité, mais avec une certaine dose de curiosité.



À Monster, Juliette et Leon eurent encore quelques gosses : Johanna en 1838, August en 1840, Josephina en 1842 et finalement Louis en 1843. le 11 mars 1846 Leon et Juliette contractèrent un mariage civil, au bout de 23 ans d'amour.

Juliette mourut d'une hémorragie cérébrale en 1855, à l'âge de 46 ans et Leon en 1861, après une maladie douloureuse, à l'âge de 61 ans.



Au moment de l'élection présidentielle d'Abraham Lincoln en 1861, la Caroline du Sud fut le premier État à faire sécession et les combats de la guerre civile firent de Charleston une "City of Ruin". La renaissance de la ville est venue avec la danse qui porte son nom, l'opéra Porgy et Bess et le livre et film "Autant en emporte le vent".

C'est seulement en juin 2018 que le conseil municipal de Charleston a pour la première fois offert ses excuses pour les crimes commis en son nom !



L'histoire d'une famille et d'une ville est racontée avec grand talent par Annejet van der Zijl, surtout si l'on considère que cette ancienne directrice d'un orphelinat était en quelque sorte en service commandė : la préparation d'un ouvrage pour la semaine du livre, millésime 2020.