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Citation de Charybde2


Bientôt, ce sera le carnaval et ces gradins de fer seront pris d’assaut par une foule bariolée et joyeuse, l’air résonnera du son entraînant des tambours et les meilleurs méringues carnavalesques monteront des hauts-parleurs. La place du Champ de Mars sera grouillante de masques. Les tresseuses de rubans feront démonstration d’habileté et de grâce. Elles saisiront l’extrémité des rubans de couleur accrochés au sommet d’un grand mât et exécuteront, en s’entrecroisant, les figures d’une danse spectaculaire qui, peu à peu, tissera autour de la tige de bois un long fourreau multicolore. Les voici maintenant qui s’arrêtent. Leurs jupes chatoient dans le soleil. Elles font la révérence, puis se relèvent, se démêlent, se défaufilent, défaisant le fourreau avec une lenteur calculée et, finalement, dénudent la tige sous les applaudissements de la petite fille émerveillée, appuyée des coudes sur la tête de son père. Pour dix centimes, les lamayòt, porteurs de boîtes à surprises, te laissent voir le secret de ces coffrets qu’ils trimbalent en bandoulière et les marchands de sucreries font inlassablement tinter leurs clochettes, se rappelant à l’attention de ces spectateurs trop occupés à applaudir le Roi ou la Reine du carnaval. Et ce que disent ces clochettes est tentant. "Papa, je veux un pirouli. Papa, je veux un pirouli." C’était l’époque lointaine où, fillette juchée sur les épaules de son père, elle osait taquiner ce vilain masque armé d’un grand coutelas et qui, un sac chargé d’enfants en papier mâché sur l’épaule, personnifiait le Tonton Macoute, la terreur des gosses, l’Ogre de la légende haïtienne. Par-dessus la tête de son père, et forte de sa protection, elle osait même lui crier d’une voix aiguë, joyeuse, mais pas tout à fait rassurée : "Tonton macoute, m’pa pé ou ! Je ne te crains pas, Tonton macoute, je suis une enfant sage et tu ne m’auras pas pour ton souper." Mais la fillette avait grandi et le carnaval, installé à demeure dans le pays, était devenu ubuesque. La musique n’était plus la même. Il n’y avait plus de Reine souriante ni de Roi bon enfant. Les diables-pour-rire, la famille des grosses têtes et des jambes de bois, les chars et les camions avaient été remplacés par un criard défilé de tontons macoutes armés jusqu’aux dents et, dominant la parade, coiffant le pays tout entier, trônait le maître-Ogre, l’unique instigateur de ce carnaval de déments ; veillait le chef spirituel, le régénérateur, l’ À-Vie. À privatif, murmura-t-elle en s’éloignant de la faculté d’Ethnologie. Le sablier qui empiétait sur le trottoir portait la trace de son passage en vert et blanc.
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