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Citation de enkidu_


Le polythéisme n'était pas à ses yeux [de pythagoricien] ce qu'il est devenu aux nôtres, ou une idolâtrie impie et grossière, ou un culte inspiré par l'adversaire infernal, pour séduire les hommes et s'attribuer les honneurs qui ne sont dus qu'à la Divinité : c'était une particularisation de l'Être universel, une personnification de ses attributs et de ses facultés.

Avant Moïse, aucun des législateurs théocratiques n'avait pensé qu'il fût bon de présenter à l'adoration du peuple le Dieu suprême, unique et incréé, dans son universalité insondable. Les Brahmanes indiens, que l'on peut regarder comme les types vivants de tous les sages et de tous les pontifes du Monde, ne se permettent point, même aujourd'hui où leur longue vieillesse a effacé jusqu'aux traces de leur antique science, de proférer le nom de Dieu, principe de Tout. Ils se contentent de méditer son essence en silence, et d'offrir des sacrifices à ses plus sublimes émanations. Les sages chinois en agissent de même à l'égard de la Cause première, qu'on ne saurait nommer ni définir ; les spectateurs de Zoroastre, qui font émaner de cette cause ineffable les deux principes universels du bien et du mal, Ormusd et Ahriman, se contentent de la désigner sous le nom de l’Éternité. Les Égyptiens, si célèbres par leur sagesse, l'étendue de leurs connaissances et la multitude de leurs symboles divins, honoraient par le silence le Dieu principe et source de toutes choses ; ils n'en parlaient jamais, le regardant comme inaccessible à toutes les recherches de l'homme ; et Orphée leur disciple, premier auteur de la brillante mythologie des Grecs, Orphée, qui semblait annoncer l'âme du Monde comme créatrice de ce même Dieu dont elle était émanée, disait sans détours : « Je ne vois point cet Être entouré d'un nuage ».

Moïse, comme je l'ai dit, fut le premier qui fit un dogme public de l'unité de Dieu, et qui divulgua ce qui jusqu'alors avait été enseveli dans l'ombre des sanctuaires ; car les principaux dogmes des mystères, ceux sur lesquels reposaient tous les autres, étaient l'unité de Dieu et l'homogénéité de la Nature. Il est vrai que Moïse, en faisant cette divulgation, ne se permit aucune définition, aucune réflexion, ni sur l'essence, ni sur la nature de cet Être unique ; ce qui est très-remarquable. Avant lui, dans tout le Monde connu, et après lui, excepté en Judée où plus d'un nuage offusquait encore l'idée de l'Unité divine, jusqu'à l'établissement du christianisme, la Divinité fut considérée par les théosophes de toutes les nations sous deux rapports ; premièrement comme unique, secondement comme infinie ; comme unique, réservée sous le sceau du secret à la contemplation, à la méditation des sages ; comme infinie, livrée à la vénération, à l'invocation du peuple. Or l'unité de Dieu réside dans son essence, que le vulgaire ne peut jamais, en aucune manière, ni concevoir, ni connaître : son infinité consiste dans ses perfections, ses facultés, ses attributs dont le vulgaire peut, selon l'étendue de ses lumières, saisir quelques faibles émanations, et les rapprocher de soi en les détachant de l'universalité, c'est-à-dire, en les particularisant et les personnifiant. Voilà la particularisation et la personnification qui constituent, ainsi que je l'ai dit, le polythéisme. La foule de Dieux qui en résulte est infinie comme la Divinité même dont elle prend naissance. Chaque nation, chaque peuple, chaque ville, adopte à son gré celles des facultés divines qui conviennent le mieux à son caractère, à ses besoins. Ces facultés, représentées par des simulacres, deviennent autant de Dieux particuliers dont la diversité de noms augmente encore le nombre. Rien ne met des bornes à cette immense théogonie, puisque la cause première dont elle, émane n'en a pas. Le vulgaire, entraîné par les objets qui frappent ses sens, peut devenir idolâtre, et il le devient ordinairement ; il peut distinguer même ces objets de son adoration les uns des autres, et croire qu'il existe réellement autant de Dieux que de statues ; mais le sage, le philosophe, et le plus simple lettré ne tombe pas dans cette erreur. Il sait avec Plutarque que les lieux, les noms différents ne font pas les différents Dieux ; que les Grecs et les Barbares, les nations du nord et celles du midi, adorent la même Divinité ; il ramène facilement à l'unité de l'essence cette infinité des attributs, et comme font encore aujourd'hui les respectables restes des antiques Samanéens, les prêtres des Burmans, il adore Dieu, quelque soit l'autel, et le temple, et le lieu où il se trouve.

Voilà ce que faisaient les disciples de Pythagore, par le commandement de leur maître ; ils voyaient dans les Dieux des nations les attributs de l'Être ineffable qu'il ne leur était pas permis de nommer ; ils augmentaient ostensiblement, et sans aucune répugnance, le nombre de ces attributs dont ils reconnaissaient la cause infinie ; ils leur rendaient le culte consacré par la loi, et les ramenaient tous en secret à l'Unité qui était l'objet de leur foi. (pp. 193-197)
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