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Critiques de Arno Mayer (2)
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La persistance de l'Ancien Régime : L'Europe ..

Trois hypothèses président à cet ouvrage :



« Il part de l’hypothèse que la Seconde Guerre mondiale est reliée comme par un cordon ombilical à la Première Guerre mondiale et que ces deux conflits constituent la guerre de Trente Ans de la crise générale du XXe siècle. »



« La deuxième hypothèse est que la Grande Guerre, phase initiale et embryonnaire de cette crise générale, est la conséquence de la remobilisation récente des Anciens Régimes de l’Europe. »



« La troisième et principale hypothèse de ce livre est que l’ordre ancien en Europe était essentiellement pré-industriel et prébourgeois. »



Je ne vais pas ici discuter du bien fondé de ces thèses, d’autant que les notions de « régime » ou « d’ordre » utilisées par l’auteur me semblent floues. Par ailleurs, dans les périodisations nécessaires à nos compréhensions du monde, différents points de départ peuvent coexister : mode de production dominant, organisation institutionnelle des États, modalité de représentation ou de désignation des gouvernements (dont les assemblées), etc…



Il ne me paraît cependant pas possible de procéder à une analyse, en écartant le reste du monde, dont les colonisations, leurs causes et impacts sur l’Europe, pour apprécier La persistance de l’ancien régime. Sur ce sujet, les quelques paragraphes de l’auteur, me semblent très insuffisants et corrompent, au moins en partie, ses analyses.



Quoiqu’il en soit, l’organisation des hypothèses d’Arno Mayer, la principale venant en troisième position, forme sens et permet d’éclairer, de mettre en lumière, un certain nombre de faits sociaux, de contradictions sociales et l’épaisseur des luttes politiques. Épaisseur et histoire.



Dans le premier chapitre « Les économies : permanence de la terre, de l’agriculture et de la manufacture », l’auteur décrit les organisations économiques de la plupart des pays de l’Europe. Ces descriptions corrigent les visions surestimant le capitalisme en fin de XIXe siècle. Il n’y en effet pas de transposition mécanique entre la domination élargie de la marchandise et celle de la bourgeoise aux sommets des États. Mais, contrairement à Marx, qu’il cite pourtant, l’auteur ne recherche pas, derrière les apparences, les réalités abstraites et les forces « objectives ». La seule vision historique ne saurait suffire. Je pense que les travaux de Karl Marx partant de « l’exposition logique » des évolutions en les confrontant aux « évolutions historiques » sont plus féconds en termes de compréhension globale.



A l’inverse, les analyses concrètes des chapitres suivants « Les classes dominantes : la bourgeoisie s’incline », « La société politique et les classes dirigeantes : pivot de l’ancien régime », contre les réductions « sociologiques » des classes, montrent bien les luttes entre groupes sociaux, le non renoncement de la noblesse pour le contrôle de l’État et le maintien de ces privilèges, même lorsqu’ils ont été formellement abolis comme en France. Ces analyses montrent aussi la veulerie, l’incapacité de la haute bourgeoise ( de ces membres) à s’affronter à la noblesse et à la royauté dans presque toute l’Europe. Les pages sur la « longévité de la société titrée », sur le « bourgeois flagorneur, obsédé par l’ascension sociale et l’anoblissement », sur cette « adaptation sociale et culturelle massive, respectueuse et vénale », sur le rôle de l’Église, la place des « chambres hautes » sont particulièrement éclairantes. L’auteur montre aussi la résistance à la fiscalisation, au droit à l’éducation, sans oublier le droit de vote, etc.



Plus réjouissantes encore me semblent les pages sur « Cultures officielles et avant-gardes » ou sur « Visions du monde : la darwinisme social, Nietzsche, la guerre. »



A travers les multiples exemples se dessine une société mêlant ordre ancien et modernité, l’un et l’autre s’entremêlant et se déformant. Un « ordre » ancien ne se renverse pas si facilement.



La « militarisation de l’Europe revêtit des proportions énormes » et certain-e-s, peu nombreux, ont, à juste titre, pressentit « une guerre monstrueuse ». Cette guerre ne peut seulement s’expliquer par les contradictions du mode de production. Il s’agit en premier lieu d’un affrontement politique entre forces sociales. Puis vint 1914 et le temps de 30 ans de guerre civile…



Sur ce sujet je rappelle le livre d’Enzo Traverso

A feu et à sang – De la guerre civile européenne 1914-1945 (Un ordre d’idées STOCK 2007, réédition hachette Pluriel)



Ce monde d’hier n’est pas si lointain, la royauté règne encore sur une partie de l’Europe, les privilèges nobiliaires ne sont pas tous abolis, le droit de vote citoyen (lieu d’existence et non lieu de naissance) et universel reste en débat, etc. Sans oublier les notions de « sang », de fondations « chrétiennes »ou les curieuses écritures des histoires « nationales »…



Mettre le doigt sur ces éléments n’invalide cependant pas la domination toujours plus élargie de la marchandise, du système capitaliste.



Les luttes de pouvoir sont toujours des luttes d’intérêts, des luttes politiques qui ne peuvent être appréciées en termes de reflet de situations économiques, ou en terme d’infrastructure/superstructure, encore moins de loi transcendante du genre humain.



Au delà des accords et des désaccords, Arno Mayer nous invite à discuter du passé, de l’histoire, de sa perception. Il nous invite à comprendre politiquement le monde.

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De leurs socs, ils ont forgé des glaives : Hi..

Dans la préface, l’auteur nous indique d’où il parle, il se situe : « Je me reconnais dans la définition du ”Juif non juif” d’Isaac Deutscher, qu’il situe ”sur les limites entre différentes civilisations, religions et cultures nationales”, dont ”les influences culturelles diverses se croisent et se fertilisent réciproquement” ». Il assume aussi faire œuvre d’interprétation. Et il nous précise quelques éléments de son questionnement : « Je fus intrigué par cette rejudaïsation, mesurable au nombre et aux dimensions croissants des talliths portés pour Kol Nidré, qui se tenait désormais dans le majestueux Alexander Hall », « Je trouvais cette subculture juive séparatiste aliénante » ou « Je suis profondément perturbé par le refus d’Israël d’admettre que son avenir ne réside ni dans son Dieu ni dans son glaive, mais dans le concert des puissances mondiales et régionales. »



Il s’agit donc d’un livre qui présente les faits suivant une ligne d’interprétation, en référence à celle d’Ahad Haam, Martin Buber, Judah Magnes qui, longtemps avant la création de l’État sioniste avaient mis en garde contre la non-prise en compte des populations réellement existantes en Palestine. Ils prônaient la coexistence de deux États (juifs et palestiniens) dans la cadre d’un Moyen Orient arabe.



Je ne discuterais pas ici de cette ”solution”, ce sionisme non-sioniste, ni d’ailleurs de l’éventuelle composante de libération nationale de la colonisation par des populations juives de la Palestine. Ces débats doivent se poursuivre, mais ne permettent pas d’élaborer un avenir démocratique, laïc (au sens de séparation des institutions religieuses et de la religion de l’État), non ”ethnique”, pour les palestinien-nes et les israélien-nes, qu’elles et ils soient musulmans, juifs ou chrétiens. Ce qui passe immédiatement par la reconnaissance de l’expropriation et de l’expulsion des palestinien-nes et donc leur droit au retour. A l’inverse, il ne faut cesser de confondre, d’assimiler, les israélien-ne-s juives et juifs avec les autres populations juives à travers le monde. Être juive ou juif, ou se reconnaître comme tel-le, ne devrait donner aucun droit particulier à l’installation dans la région. En ce sens, le futur s’il peut pour les un-e-s, être israélien, ne saurait être sioniste (État des Juifs).



L’auteur a indiqué son point de départ, j’ai énoncé ma position. Il ne saurait y avoir de neutralité axiomatique pour analyser la construction asymétrique et violente de l’État des un-e-s sur l’expulsion hier et aujourd’hui et la négation des droits des autres.



Arno J. Mayer, dans cette histoire critique d’Israël, prend soin, durant tout son récit, de l’ancrer dans les évolutions plus larges, dans les changements sociopolitiques du reste du monde. C’est d’ailleurs un des grands mérites de cet ouvrage. L’histoire des un-e-s est toujours aussi celle des autres et surtout l’histoire de leurs relations.



Les différents chapitres du livre sont :



« Le contexte impérial : de 1890 à la Première Guerre mondiale »



« Préfiguration : les années 1920 »



« Orages à l’horizon »



« Réalignements »



« Au-devant des affrontements »



« La guerre froide : Israël dans le monde »



« Le mur de fer diplomatique »



« Le salaire de l’hubris ». (d’après le site Le garde-mots : Chez les anciens Grecs, démesure, outrance dans le comportement, sentiment violent né de l’orgueil, et qui allait jusqu’au dépassement des limites)



Ces chapitres sont précédés de longs « Prolégomènes » sur lesquels je m’attarderais, sans pouvoir être exhaustif. Mes choix n’indiquent nulle hiérarchisation dans les analyses de l’historien.



L’auteur se démarque d’un « récit surdéterminé et larmoyant des douleurs de l’exil et de la diaspora ». Il me faut néanmoins signaler que l’axe de développement, le point de vue reste, comme indiqué au début de la note, principalement celui des populations juives, il s’agit bien donc d’une histoire critique d’Israël et non d’une histoire critique et globale de la Palestine qu’il reste toujours à écrire. L’auteur interroge et analyse le sionisme historique, ces différents courants, dont les révisionnistes et les terroristes, en les re-situant dans les évolutions européennes. Il n’oublie pas d’insister sur « Les heurts entre Arabes et sionistes en Palestine se produisirent dans un proche et Moyen-Orient en proie à une déstabilisation générale, la Première Guerre entraînant une reconfiguration des sphères d’influence, des frontières et de religions exceptionnel. »



Deux extraits permettent de présenter les appréciations de l’auteur sur le sionisme : « Le sioniste n’est pas né de Dieu ni d’une vision miraculeuse ; il est né de la violence physique et psychologique des pogromes de la Russie tsariste, la violence rhétorique qui avait entouré l’affaire Dreyfus dans la France républicaine et le règne municipal de même nature de Karl Lueger à Vienne, puis la violence physique, psychologique et symbolique de l’implantation sioniste en Palestine arabo-musulmane, variante de la violence polymorphe de la mission civilisatrice outre-mer de plus en plus contestée de l’Europe impérialiste » et « Chaque mythe fondateur célèbre, édulcore et pare d’une aura romantique la violence primitive employée pour forger un ordre politico-légal nouveau et définir des frontières entre les États, transformant ce faisant la violence illégale en ce qui finit par être accepté comme une force légitime ».



Si, comme d’autres bâtisseurs de nation, « les sionistes firent usage à la fois de violence et de force pour établir l’État d’Israël entre 1945 et 1949 », il ne faut pas omette de préciser « Mais Israël n’a pas agi ainsi ”à l’intérieur d’un territoire donné” : jusqu’à ce jour, ses frontières – un critère essentiel de l’État-nation souverain – ne sont pas délimitées et ne font l’objet d’aucune reconnaissance internationale. » Malgré les résolutions de l’ONU, l’occupation de territoires s’est transformé en intégration, au mépris du Droit international et des populations habitantes, et cela ne date pas de 1967.



Contrairement à d’autres auteurs, Arno J. Mayer ne néglige pas les deux révoltes palestiniennes « Les soulèvements de 1929 et de 1936-1938 – autrement dit la première et la deuxième Intifada – furent l’expression de la conscience et de l’affirmation de soi accrues des palestiniens et marquèrent le début de leur diabolisation en antisémites, en terroristes et en meurtriers » et réaffirme que « la question et la résistance palestiniennes ne disparaîtront pas ».Il nous montre que les logiques initiales du sionisme expliquent les politiques actuelles.



Je voudrais terminer cette présentation par trois citations, montrant l’engagement de l’auteur :



« le principe de l’élection divine témoigne d’un profond ethnocentrisme »



« Qu’Israël puisse servir de foyer et de bouclier ultime aux juifs de la diaspora relève, de toute évidence du mythe »



« En célébrant un souvenir ethno-religieux étriqué, Israël se transforme en un arbre sec bien plus qu’en lumière »



Une somme très impressionnante, qui si elle ne se substitue pas aux multiples ouvrages déjà parus, n’en apporte pas moins, des compléments précieux et une vision plus mondialisée des éléments. J’espère que cette partielle et partiale lecture en suscitera d’autres et je renvoie aux différentes notes déjà publiées sur la Palestine et sur Israël, sur entre les lignes entre les mots.
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