AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de neluay


P20

La ville de Nîme s'offre dans toute sa splendeur. Les gamines s'abandonnent à la contemplation et s'emplissent les yeux avec extase. Les vieilles pierres, qui se sont chauffées toute la journée au soleil, renvoient une lueur iridescente. Là, Eulalie distingue l'orbe des arènes antiques, ici, un grand boulevard arboré où grouillent des badauds. Un immense jardin s'étire à perte de vue. Les cyprès italiens qui le hantent se balancent comme des bras tordus - flèches impétueuses qui jouent aux sylphides quand le vent souffle. Devant la porte de l'école siège un olivier au tronc épais, signeur de arbres du Sud. Eulalie admire ce fier nain aux membres rabougris qui se pavane sous sa toison épaisse. Ses globes lisses, verts et noirs, captent tous les regards. Orgueilleuses, les olives appellent la main et la bouche.
Soudain , les cloches de la cathédrale retentissent. Le tentement familier réveille les souvenirs d'Eulalie. A cette heure-ci, son père doit avoir quitté la filature de soie. Sa mère préparent le repas du soir. La pénombre gagne peu à peu la maison. Les cris des martinets noirs déchirent le ciel. La fillette ferme les yeux et se laisse transporter. Soudain, elle voit la lumière de fin de journée, cette franche lueur safranée, chaude et câline, qui embrase le vignoble devant la maison. Les ceps tordus, adorateurs du soleil, rendent un dernier hommage à leur bienfaiteur. Les oiseaux pépient dans un concert chaotique, s'ignorant les uns des autres, tout à la joie d'être vivants. Les herbes sèches, parsemées de petits escargots blancs qui grimpent pour rejoindre le ciel, bruissent de milliers d'insectes. Des rochers de schiste percent le sol çà et là, comme des géants de pierre prêts à surgir des Enfers. Des rosaces vert pâle leur font comme des tâches de rousseur. Le soleil tire sa révérence, fatigué d'avoir servi les travaux des Cévenols. Il puise une dernière fois les vieilles vignes vêtues de pourpre et de céladon dans une étreinte calme et rassasiée. Perchées au sommet d'un chêne, deux colombes turques se racontent des secrets en secouant la tête. Elles semblent apprécier la lueur vespérale, celle qui aveugle. On distingue seulement la transparence des feuilles sèches et les fils d'araignée qui se balancent avec paresse. Tout est ombre, le paysage ne se livre plus. Il faut deviner. Le regard rend les armes, l'esprit prend le relais. C'est l'heure des suggestions et des conjectures. Les Cévennes souriantes deviennent alors étranges et hostiles. L'humidité gagne les bancels (terme occitan qui désigne les plates-bandes de terre cultivées entre les murs de pierre). Des craquements de bois se font entendre. Le ciel se teinte de granit. On n'entend plus chuchoter dans les ruches-tronc. Le murmure confidentiel des cours d'eau devient assourdissant dans le paysage qui forme comme une mer agitée hérissée de crêtes. Voici venu le moment du repos pour les femmes et les hommes qui se terrent dans leurs maisons de pierre.
Commenter  J’apprécie          20





Ont apprécié cette citation (2)voir plus




{* *}