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Citation de Charybde2


Parvenir au sommet et y rester, écraser ses congénères, être plus malin, plus vif, plus fort, briller dans la lumière et jouir de ce statut : s’il y a un point commun entre la plupart des personnages de Paul Verhoeven, c’est leur volonté de gravir les échelons un à un, de rayonner par la ruse ou la puissance et de dominer, ou tout du moins maîtriser, les règles d’un monde ultra-concurrentiel et compétitif. C’est le cas de Nomi dans Showgirls, porte-étendard d’une galerie de femmes fortes qui jalonnent la filmographie du Hollandais, mais aussi de Michèle, Agnes, Rachel, Katie ou Fientje. Autant d’héroïnes qui composent avec une série de handicaps pour, progressive- ment, prendre la mesure de l’univers dans lequel elles évoluent. Autant d’héroïnes, de Business is Business à Elle en passant par Spetters et La Chair et le Sang, qui se révèlent chacune à leur manière alter ego du cinéaste. Alter ego, car Paul Verhoeven n’a eu de cesse, en seize films et trois pays, de s’imposer partout où il est passé, que ce soit aux Pays-Bas, à Hollywood ou en France. Il y a non seulement rencontré le succès, en dépit de périodes d’adaptation parfois complexes, mais a en plus systématiquement assimilé les codes et traditions cinématographiques en vigueur pour se les approprier, les dépasser et enfin les pulvériser : il trace son propre sillon, ringardisant du même coup l’immense majorité des productions locales. Si Nomi pousse ses rivales dans l’escalier pour devenir déesse parmi les déesses, usant de violence physique explicite, Verhoeven, lui, préfère se comporter comme Ellis de Vries dans Black Book : se teindre les poils pubiens pour dissimuler son identité véritable et sortir la carte du travestissement pour parvenir à ses fins. Au risque de brouiller les lignes et de mettre à mal les cases prédéfinies.
Voici l’empreinte, la griffe Paul Verhoeven: maverick et indépendant farouche, tout en étant un rouage du système ; à la fois acteur et observateur; irrémédiablement fan de l’entertainment, mais prêt à tout pour le dynamiter. L’œuvre du cinéaste, un pied dans l’industrie et le reste en dehors, est indissociable de ce statut hybride, qui le place définitivement à part, le rend insaisissable et ouvre du même coup la porte à une somme de malentendus et interprétations contradictoires. Il a tour à tour été qualifié de misogyne et féministe, fasciste et libertaire, vendu aux sirènes d’Hollywood, puis artiste sauvage et intenable. Verhoeven, loin de s’en offusquer, alimente les polémiques, saupoudre ses films d’ambigüité et cultive l’image de l’anguille qui s’immerge dans son écosystème jusqu’à la nausée, puis le scanne sans aucune pitié, avant de se faufiler vers d’autres cours d’eau. Quel est ce cinéaste, prototype défectueux ayant dessiné sa propre voie, qui n’obéit à aucun programme ni figures imposées? Qu’est-ce qui meut cet électron libre, au-delà du plaisir de déstabiliser ?
Paul Verhoeven est volontairement labyrinthique, amoureux de l’opacité et des circonvolutions ombragées, mais capable dans sa mise en scène de la plus grande limpidité. D’où la nécessité, aujourd’hui plus que jamais alors qu’il vient de poser ses valises en France pour initier un nouveau cycle, de reconsidérer son œuvre en un bloc, et de la disséquer dans le détail au travers de quatre points cardinaux: l’individu face aux pouvoirs oppresseurs qui nuisent à son émancipation; le corps humain et la manière dont les excroissances ou protubérances peuvent influer sur la marche du monde ; la place de la femme, figure centrale des films du cinéaste, dont la représentation a souvent cristallisé les accusations ; et le pouvoir de la mise en scène, abordée dans toute sa complexité, entre fantasme, instrument de manipulation, reflets, illusions et simulation. Quatre axes pour ausculter l’histoire d’une anomalie, tout en ayant la certitude, évidente et inévitable, que certaines faces du diamant garderont pour elles leurs plus belles aspérités. Pour que le spectacle reste total. (Axel Cadieux)
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