Bertha G. Verderosa

Avec Henry, je me transforme en princesse le soir, et je redeviens Cendrillon à partir de minuit. Avant notre mariage, nous filions le parfait amour. Il était attentionné, tendre et généreux. Tout a changé lorsque je suis tombée enceinte des jumeaux. La parfaite Leïla, aux formes légèrement voluptueuses, belle et coquette, s’est transformée en une femme négligée et plantureuse. De ma taille 36 à l’époque, je suis passée à deux tailles au-dessus. Il me reproche souvent mes kilos superflus, que je n’ai jamais réussi à perdre après l’accouchement. Quinze perdus sur vingt-cinq pris.
Je suis si complexée par mon physique qu’il m’est difficile de m’habiller comme avant. Je troque ma coquetterie et mon élégance de mes premières années de jeunesse contre des jeans et des tee-shirts et pulls simples. À bientôt trente ans, j’ai l’impression d’en avoir cinquante. Je n’ai plus ma mère à mes côtés, cette femme si belle et si gracieuse qui s’en est allée à à peine 46 ans. Je pense souvent à elle, cependant nous n’avons jamais été proches.

Elle dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas, c’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles je l’adore. Mon amie est une célibataire invétérée et ne se gêne pas pour ne vivre que de relations sans lendemain. Elle dit à qui veut l’entendre que se caser ne l’enchante guère. Elle se définit comme jeune et rebelle, et préfère profiter de la vie plutôt que de s’enfermer dans une relation. Je l’admire pour sa franchise et sa détermination. Elle est le genre de femme indépendante et libre qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Contrairement à moi, elle se rend au pays, notamment lors de la période de carnaval. Elle est une fan inconditionnelle de cet évènement.

Cet homme a un cœur en or. J’ignore s’il a changé depuis, mais à l’époque, nous vivions un amour parfait. Sa tendresse et sa douceur étaient des qualités indéniables, c’est ce qui m’a attirée.
Ses pupilles grises, son regard profond hantent mon esprit. Je ne pense qu’à lui depuis que nous nous sommes quittés ce soir. Les filles n’ont pas cessé de m’assaillir de questions à son sujet. Cependant, j’ai préféré me taire, et refouler mes sentiments. Cet homme m’attire comme au premier jour, mais en tant que femme mariée, je ne peux me laisser aller à cette attirance. Je ne dois pas le revoir, et je regrette d’avoir échangé nos numéros.

J’adore mon rôle de maman, néanmoins je ressens le besoin de connaître un peu de répit. Je contemple un couple au fond de la salle. De jeunes gens amoureux. Leurs yeux brûlent de passion et de désir. Depuis quand leur relation dure-t-elle ? On dit que tout est beau au début, et que ce sont des années après seulement que l’on découvre le vrai visage de notre partenaire. Pourtant, je ne me souviens pas avoir déjà vu Henry me scruter de la même manière que le fait ce jeune homme avec sa petite amie. Ils s’aiment, cela crève les yeux !

Tendrement, il caresse ma joue lésée par mon mari, et me scrute. Ce regard en dit long sur ses réelles intentions. Sans plus tarder, il rapproche son étreinte et pose subitement ses lèvres sur les miennes. Je réponds timidement à son baiser, mais il l’approfondit, il rencontre ma langue. L’excitation prend possession de mon bas-ventre, elle qui était endormie depuis quelques années. Notre baiser s’intensifie, et cette fois-ci je m’abandonne à ce plaisir. C’est un jeu dangereux dont je suis prête à subir les conséquences.  

Son absence lors de l’anniversaire m’a fait douter de l’importance qu’il accorde à sa paternité. Suis-je intransigeante au point de pinailler ? Et si j’en faisais trop ? Je reconnais qu’il passe peu de temps avec eux. Cependant, il les aime, et s’efforce de faire de son mieux. Malheureusement, il compense sa défaillance par des cadeaux excessifs qui n’intéressent pas les enfants. Louane est pourtant très proche de son père, mais j’ai tendance à penser qu’Henry préfère Noah.

Avec lui, tout coule de source. Il a tenté de me courtiser, ce n’était pas une infidélité. Je suis redevenue la Leïla libre et vraie. Cette Leïla, qui riait à la moindre occasion et partageait sa joie, et qui ne faisait pas semblant d’être heureuse, car elle l’était réellement. Je viens d’arriver à un point de non-retour. Quelle place détiendra cet homme dans ma vie désormais ? Et si j’écoutais mon cœur, pour une fois ?
 
 
 

Il n’est pas toujours facile de tenir tête à Henry. Bien souvent, j’encaisse ses humiliations et ses paroles acerbes, pour éviter que la situation dégénère en présence des enfants. Néanmoins, ils ne sont pas dupes, et sont conscients du comportement abject de leur père. Je ne me souviens plus à quand remonte la première fois où il m’a mortifiée. Se rappeler déclenche en moi une profonde affliction qui me broie de l’intérieur.
 

Ma belle-mère ne conçoit pas un enfant hors mariage. La fornication, selon elle, est un péché impudique et condamnable. Henry est proche de sa mère : il a toujours suivi ses préceptes, en dépit de l’insolence dont il fait preuve envers elle. Je ne fais pas le poids face à cette femme impertinente. D’ailleurs, nous ne nous sommes jamais entendues. Ma couleur de peau et mon statut social ne sont pas à la hauteur de ses espérances.

Je parviens tout de même à ressasser le début de la soirée, mais je cède au poison insidieux de l’homme dans mon lit. Celui qui me sert de mari, à l’apparence parfaite, est un étranger. Il ne dissimule pas son envie pressante de me faire l’amour. Je n’en ai pas envie, comme toujours, mais je le laisse faire. Je n’éprouve pas la moindre excitation. Je réponds à mes devoirs conjugaux, sans chercher à le défier.