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Citation de alzaia


Pourtant je n'aurais pas dû oublier comme je le fis que six mois avaient suffi maintenant à aiguiser inconsciemment en moi la méfiance. Je ne pouvais détourner sa domination malgré mes efforts. Je ne me suis jamais distingué par une volonté forte. Mais je me doutais que la même crainte pût atteindre aussi les autres, ceux qui se vantaient d'être imbrisables. En prison, tous sont brisés. Tous accomplissent l'identique geste des mains quand la police leur passe les menottes. La privation de liberté fait disparaître le mythe de l'homme imbrisable. Seule l'expression de leurs visages change, et c'est l'unique marque qui permet de distinguer les héros des victimes. Briser un héros n'est pas comme briser une victime car, dans leur vie respective, rien n'est semblable. Mais à cause des uniformes identiques qu'ils portent provisoirement, et à cause du petit nombre de héros par rapport à la grande masse de victimes, leur distinction ne se devine pas au premier coup d'oeil. Elle exige de l'attention. Mais c'est très important. Autrement, un jour ou l'autre, les victimes peuvent se placer par la force ou la ruse sur un piédestal de héros et là non seulement ternir l'égard pour les deux parties, mais aussi créer une confusion, un bouleversement, un dérèglement désastreux de toute la société. (...) Parmis toutes les psychologies de groupes sociaux, il me semble que celle des prisonniers politiques est la moins connue. Ou la plus mal connue. Je n'ai pas vu étudier souvent quels changement subit l psychologie des hommes après l'emprisonnement. Est-ce par oubli ou par indifférence ? Ou plus grave ? Bref : les anciens prisonniers politiques sont nécessaires pour leur mythe, mais non pour leur réalité. On en parle beaucoup, particulièrement après le renversement des dictatures, du rôle des prisonniers politiques comme flambeau de la démocratie, développant un pathos qui met en évidence leurs mérites et décrit leurs souffrances plus terribles que les souffrances de Jésus-Christ crucifié. Mais c'est trop rare de rencontrer quelqu'un qui demande : jusqu'à quel point le cerveau humain est-il touché par la rouille que sécrète nuit et jour la cellule de prison, sur les barreaux des fenêtres,
les pieds des lits, les portes et même les aiguilles qui servent à raccommoder les vêtements ?
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