Même sans avoir jamais eu affaire à eux, je savais que les Waffen-SS faisaient la guerre en recourant à des méthodes particulièrement brutales. Dans la Wehrmacht, on en parlait officieusement, en affichant distance ou dégoût. Mais je n’avais encore jamais entendu parler (peut-être parce que je n’avais jamais posé de question à leur sujet ?) de l’exécution de juifs. Même sous forme de simple allusion. Dans la période qui suivit leur déportation, je ne parviens pas à me souvenir d’avoir jamais pensé à eux ou d’avoir jamais parlé d’eux, que ce soit avec des gens de mon âge ou avec des adultes. Chez ceux qui n’avaient pas de connaissances parmi eux, sitôt qu’ils étaient loin des yeux… Ils avaient tôt fait de sortir de la tête. À moins que l’on ne gardât ses pensées pour soi – car montrer de la pitié ou, a fortiori, de la sympathie, pouvait être dangereux.
Renoncer au prêt, c'était perdre le sol sous ses pieds, abandonner la relation avec la pratique, avec les hommes, avec les masses, travailler dans un espace vide, se retrancher du monde, se retirer dans une cellule paisible, dans une besogne administrative, étouffer dans la théorie et ainsi de suite, jusqu'à ce que Hassler comprît que le prêt hebdomadaire était au directeur de bibliothèque ce que la récitation quotidienne de la messe est à l'évêque; Le prêt (ainsi l'enseignait-on à l'école spéciale) est le noyau du travail de bibliothécaire. De bibliothécaire populaire. (p. 88)
(...) c'est l'exemple type de cette prochaine génération que l'on ne comprend plus très bien,parce qu'elle a grandi dans un autre environnement,avec d'autres livres."Quand en 46,elle apprenait l'alphabet,nous avions déjà la guerre derrière nous;pour elle,nos expériences,c'est de l'histoire ;nous commençons à nous faire vieux."(p.70/ Papyrus,1982)
(...) on s'observe un peu les uns les autres pour que des situations comme avant quarante-cinq ou de l'autre côté du Mur ne se renouvellent pas, on en est quand même responsable devant les temps nouveaux et devant la nouvelle génération.
( p.63)
Chez moi, l’écroulement du Reich ne faisait
pas du tout naître de sentiment de fin du monde. La sensation
de faire partie des vaincus ? Je n’arrivais pas à la développer
au fond de moi. Au contraire, j’éprouvais de la pitié pour les
vainqueurs, qui devraient probablement porter encore longtemps
casque et fusil. Au départ de l’hôpital militaire, je me
sentis délivré de toute attache pesant sur ma personne. J’avais
survécu à cet État qui avait jusque-là tracé mon destin. Je me
trouvais désormais en dehors de toute structure organisée, ne
ressentant plus de devoir qu’envers moi-même et mes propres
aspirations.
Mais à quoi ont-ils donc pensé en dépouillant de son nom traditionnel le "bibliothécaire populaire", au temps de la démocratie populaire, de la police populaire, des correspondances populaires, de la solidarité populaire et également du bibliothécaire populaire ? Aux soupes populaires, que laisse toujours renifler la vieille appellation, telle est la réponse, qui fait allusion à des choses historiques (...) et aux associations bourgeoises pour l'éducation populaire du siècle dernier (...) (p. 89)