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Citation de Charybde2


Le moment de s’y remettre arriva enfin, après un délai de cinq jours. Nous sanglâmes nos sacs sur nos épaules et partîmes dans la bruine de la fin septembre. Les arbres des Shelley étaient vieux, contrairement à ceux des Hazelton. Ils dataient d’avant l’ère de la biogénétique et de la cueillette scientifique, et ils avaient poussé jusqu’à atteindre une taille gigantesque. Ce genre d’arbre pouvait sembler mature et regorger de fruits vu de loin, mais quand on y regardait de plus près, on apercevait les ravages du temps, l’effritement du tronc, sa récalcitrance à porter des fruits et les coulées de sève desséchées. En contemplant ces hectares plantés d’arbres gigantesques et antédiluviens, on comprenait mieux comment les explorateurs avaient pu mourir ici sans qu’on ne les retrouve jamais : la sensation de danger avait un aspect distrayant. Après tout, il n’y a rien de tel que d’être en équilibre sur une jambe au bout d’une vieille branche cassante avec quinze kilos de pommes autour du cou à chercher en vain dans l’épais feuillage le haut de l’échelle de douze mètres qu’on a quittée il y a si longtemps. Une fois là-haut, on est vite agacé par de toutes petites choses : un oiseau passe en volant délicatement, libre, et on se met à le maudire ; un écureuil vient vous narguer en faisant de l’équilibrisme avec une assurance toute acrobatique, tandis qu’un insecte doté de multiples pattes, legs de la préhistoire, remonte le long de votre main agrippée à une branche. Puis vient le bruit que les cueilleurs craignent le plus. Ça commence lentement, comme un doux craquement qui dure et augmente de volume jusqu’à ce qu’il atteigne l’accès aux centres d’urgence du cerveau. On se prend alors à élaborer des plans de secours, à chercher désespérément une issue. Faut-il balancer le sac et espérer qu’il amortira la chute ? Faut-il sauter en s’imaginant contrôler la chute et l’atterrissage ? Jusqu’à quel point peut-on avoir confiance dans ses réflexes ? Doit-on regagner l’échelle avec précaution ? Ou bien s’en remettre à la grâce divine ?
Avec ce genre d’arbre, remplir un panier peut prendre jusqu’à trois heures. En fin de journée, le cueilleur est épuisé, contusionné, brisé de partout, et il n’a pas gagné grand-chose. C’est une question de chance : on espère faire mieux le lendemain.
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