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Citation de Tempsdelecture


Heidelberg est un lieu de conte de fées, irréel, une des rares villes allemandes qui n’ont pas été bombardées. J’essaie de reconnaître les rues. J’ai vécu ici les cinq premières années de ma vie. Certaines choses me sont familières : les boulangeries, les berges du Neckar, l’odeur de la rue. C’est un jour chaud et éclatant. Je marche à l’intérieur du conte, je respire profondément, je joue à me perdre dans les rues puis à me resituer. J’entre dans un bar de la Markplatz, je commande un petit-déjeuner qui comporte du pain, de la charcuterie, du jus d’orange et du café au lait. Le garçon me demande d’où je viens, il me parle de foot, il connaît par cœur le nom de tous les joueurs de l’équipe d’Argentine. J’en profite pour pratiquer mon allemand sans grande exigence. Je me rends compte que je suis en difficulté, que je ne comprends plus très bien la langue, que je l’ai oubliée, que les leçons que j’ai cherchées sur Internet avant de venir et la bonne prononciation que je croyais pouvoir retrouver n’ont pas suffi. Pendant que le serveur me parle de Messi, j’envisage des stratégies de communication. Je peux parler en anglais si ça ne fonctionne pas. Oui, Messi c’est un génie, je finis par dire en espagnol. Le garçon s’esclaffe et il part s’occuper d’une autre table. En partant il répète : « génie », « c’est un génie ». J’avale mon petit-déjeuner avec voracité, je ne laisse rien. Un vieil homme assis à la table d’à côté me regarde du coin de l’œil et je vois au pied de sa chaise un petit chien qui l’accompagne. Le vieil homme le caresse d’une main et de l’autre il tient sa tasse. Je calcule son âge et je me demande ce qu’il pouvait faire pendant la dernière guerre. Peu importe, même si c’est un vieux nazi il n’en a plus pour longtemps à vivre. L’homme me sourit tout à coup. Peut-être que je suis pleine de préjugés, il a l’air d’être un vieillard aimable qui a remarqué que je ne suis pas d’ici. Que peuvent voir de moi ceux qui me voient assise là ? J’imagine mes cheveux autour de mes épaules, la barrette mal accrochée que je me suis mise ce matin, le joli chemisier que je porte tout froissé. Tout me semble ridicule maintenant. Ridicules ces ornements avec lesquels j’essaie de couvrir les ruines. Tout est détruit, ou que j’aille. Et maintenant je suis à des milliers de kilomètres de mon pays, sans savoir bien parler, sans savoir quoi faire.
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