Cary Bates

Ces dernières années, Urban Comics fait un travail remarquable pour permettre aux nouveaux lecteurs d’entrer dans l’univers des lectures DC. Cette bande dessinée est l’un des aboutissements de cette approche. Au menu de cet ouvrage, nous retrouvons des récits devenus des classiques sur les rencontres entre super-héros et super-vilains de Terres parallèles.

Ce recueil peut paraître rebutant par ses dessins vieillots et par son éventail de personnages obscurs mais il fait son travail de présenter le patrimoine d’un éditeur. Il est toujours intéressant de lire ces anciens récits qui peuvent pécher par leur côté naïf mais qui ont été un magnifique laboratoire d’inventivité. Plusieurs histoires sont entrées à la postérité du petit monde des comics. De ma lecture, je ne peux qu’abonder, notamment sur « Crisis on Earth-Prime ».

Ce tome regroupe les épisodes 212 à 222, en couleurs, de la série Wonder Woman, parus en 1974/1976. L'histoire se déroule après une période étrange dans les aventures de cette superhéroïne, où elle avait perdu ses pouvoirs (de Diana Prince 1 à Diana Prince 4).



Wonder Woman a recouvré ses pouvoirs mais tous les souvenirs se rattachant à la période où elle les avait perdus ont été effacés de sa mémoire. Avant de pouvoir rejoindre la Justice League, elle estime qu'elle doit faire ses preuves vis-à-vis de ses collègues superhéros. Elle propose aux membres de la Justice League de l'observer lors de ses 12 prochaines aventures pour pouvoir évaluer ses aptitudes et sa capacité à réintégrer la League. Parallèlement en tant que Diana Prince (son identité secrète), elle accepte un poste de chargé de mission auprès de Morgan Tracy, responsable du Bureau des Crises de l'Organisation des Nations Unies. Durant ces 12 épisodes, Wonder Woman va affronter autant de menaces criminelles, avec un superhéros différent de la JLA l'observant en catimini. Parmi ces menaces, il y a un robot ayant établi une paix universelle sur Terre (si, il s'agit bien d'un ennemi), le dieu de la guerre Mars, un multimillionnaire déterminé à poser le pied sur Paradise Island (l'île des Amazones), le Duke of Deception (l'un des sous-fifres de Mars), Felix Faust, Chronos, Docteur Cyber, et un simulacre de clone de Walt Disney. Le dispositif narratif voulant qu'un membre de la League observe Diana permet de voir les superhéros suivants faire de la figuration : Superman, Batman, Atom, Phantom Stranger, Hawkman, Black Canary, Green Arrow, Elongated Man, Aquaman, Flash, Green Lantern, et Red Tornado.



Un rapide coup d'oeil à la liste des personnes ayant réalisé ces aventures en dit long sur l'objectif éditorial. Les scénarios sont écrits à tour de rôle par Martin Pasko, Len Wein, Elliot S. Maggin, et Cary Bates. Les illustrations sont réalisées à tour de rôle par Curt Swan, Irv Novick, John Rosenberger, Dick Dillin, Kurt Schaffenberger, Dick Giordano et Jose Delbo. Il ne s'agit donc pas d'une histoire au long cours écrite par une équipe stable, mais plutôt d'une collection d'histoires en 1 épisode, raccordées par la trame artificielle des 12 travaux. De la même manière, la présence des autres superhéros est artificielle, ils n'interviennent pas dans les péripéties de Wonder Woman ; ils ne servent qu'à commenter et expliquer ses actions, et certainement à servir de caution pour prouver que Wonder Woman est une superhéroïne au même titre qu'eux, dans le même univers partagé.



Dès les premières pages, il est clair également que ces histoires sont destinées à la jeunesse et qu'elles reflètent un âge passé des comics où toutes les invraisemblances étaient permises. Parmi les composantes enfantines, le lecteur détecte immédiatement les scènes obligatoires présentes dans chaque épisode : Diana Prince fait tourner son lasso autour d'elle pour transformer son costume en celui de Wonder Woman, et elle se retrouve sous une pluie de balles ou de projectiles offensifs similaires pour pouvoir les dévier à l'aide de ses bracelets. Parmi les invraisemblances trop grosses pour être avalées, il y a le célèbre avion robot invisible de Wonder Woman (la logique avec la civilisation antique des amazones est difficile à établir), Wonder Woman debout sur la carlingue dudit avion alors qu'il se pilote tout seul (là c'est logique puisque c'est un avion robot), la radio télépathique qui se branche directement sur la tiare de Wonder Woman lorsqu'elle est aux commandes de l'avion robot, etc. Les scénaristes effectuent également des modifications d'intensité de la force de Wonder Woman d'un épisode à l'autre, ou des propriétés de son lasso (ahurissant comme il peut s'étirer, ou générer un tourbillon).



Ces histoires constituent donc un témoignage d'une époque révolue dans les comics où les histoires ne reposaient pas sur une continuité resserrée, où chaque épisode pouvait être lu indépendamment, où la sophistication n''était pas de mise, où l'héroïne avait une taille de poitrine réaliste et des bottes à talon, où il y avait une amitié chaleureuse entre les superhéros, où la violence se limitait à des coups de poing dont l'impact était suggéré, sans aucune goutte de sang, etc. Si vous êtes allergique à ces comics bon enfants, ce tome mérite 2 étoiles en tant que curiosité.



Si vous êtes motivé par une curiosité historique pour cette époque des comics, vous serez amené à sourire devant ces histoires impossibles, à la logique superficielle, et aux résolutions rapides et définitives. Ces histoires se laissent lire, elles se lisent même rapidement (il n'y a pas énormément de textes) et l'inventivité des scénaristes finit par séduire par son aspect kitch. Les dessins sont simples, facilement lisibles, parfois naïfs, mais pas idiots, ni racoleurs. 3 étoiles pour ce voyage instructif dans le passé.



Si vous êtes fan du personnage de Wonder Woman, vous décèlerez une pépite étonnante dans chaque épisode. Difficile de ne pas fondre devant Wonder Woman réconfortée (en tout bien tout honneur) dans les bras rassurant de Superman, alors qu'elle se rend compte qu'il lui manque une partie de ses souvenirs. Le dessinateur sait rendre un vrai moment de tendresse dépourvu de toute ambigüité, sans connotation. De temps à autre, les scénaristes se permettaient de jouer sur la nature féminine de Wonder Woman ; c'est ainsi qu'au détour d'un combat elle se fait interpeler par un jeune homme qui lui propose un rencard chez lui pour lui faire profiter de sa discographie de Joni Mitchell. Certains scénaristes vont même jusqu'à tenter une petite répartie sur les droits des femmes et la notion d'égalité des sexes. Au delà du kitch intense de l'avion robot, cela permet de se rappeler qu'à cette époque Wonder Woman ne disposait pas de capacité de vol autonome. Les transformations de tenue vestimentaire par le lasso magique sont autant de moments magiques. Et puis, les scénaristes se souviennent de temps à autres des débuts de Wonder Woman (rééditées dans la série des WW Chronicles). C'est ainsi qu'elle utilise toujours l'interjection "Suffering Sappho" qui renvoie directement à la poétesse qui a donné son nom au saphisme (allusion décalée au lesbianisme dans un comics pour la jeunesse). De temps à autre, l'image de la femme entravée resurgit également comme au bon vieux temps des épisodes réalisés par William Moulton Marston et Harry G. Peter, ses créateurs. Et régulièrement les scénaristes rappellent que Wonder Woman est belle comme Aphrodite, sage comme Athéna, vive comme Mercure et plus forte qu'Hercule. Comment résister au charme d'une telle séduction à la fois pure et étrangement perverse d'une telle héroïne ? Si comme moi, vous êtes sous son charme ce voyage dans le passé aura un parfum nostalgique irrésistible.