Charles-Marc Bost

Le Seigneur nous garde dans sa paix et nous réunisse tous un jour au pied de son trône. c'est l'espoir et la prière de votre fille et soeur toute affectionnée, Sophie T. Bost

Lune de miel

A la mort du père, ces lettres sont passées à Elisée, le dernier des dix fils. A la mort d'Elisée elles sont passées à son fils aînée, le pasteur et historien Charles Bost. Enfin, à la mort de celui-ci, elles sont passées dans nos mains. Nous les avons déchiffrées, classées, annotées. Plusieurs étaient déjà en fort mauvais état, des parties en étaient illisibles. l'ensemble représentait quelque chose comme cinq cent mille mots. Nous n'en publions qu'une partie.
Nous avons visité les lieux où Théodore et Sophie avaient vécu et retrouvé leurs descendants dont aucune nouvelle n'était parvenue en Europe depuis 1920.
Désirant conserver le panorama complet de ces deux existences d'autrefois, nous publions des lettres de toutes les époques, de l'enfance à la vieillesse, avec l'espoir que se révéleront ainsi sous tous leurs aspects ceux qui nous ont précédés de quelques générations sur le chemin de la vie.

Introduction

De dessus la colline qui borde le lac, je devinai où devait se trouver le town et en suivant un sentier je m'y rendis tout en admirant la beauté du lac. Quoique habitué à voir de grandes étendues d'eau gelée, je trouvai à celui-ci un air plus doux et tranquille. La glace amoncelée et hachée su Saint-Laurent a quelque chose de beau mais peu agréable. (...)
Pendant que je faisais ces réflexions, j'arrivai au village qui est très joli; il y a des arbres plantés partout, il est très sain, personne n'y a encore été malade et tous les habitants en sont chrétiens et n'ont jamais eu de procès entre eux. c'est vraiment d'ajouter qu'il n'y a encore qu'un homme, sa femme, sa mère et ses enfants. Puis que leur maison et leur store composent tout le village.

Seul à Chanhassen

Entre ces onze enfants les différences d'âges sont grandes, les premiers ne connaissent guère les derniers. Mais les différences de tempérament sont bien plus grandes encore, les personnalités fort diverses. Théodore en parle souvent, il nous faut donc donner quelques renseignements sur chacun d'eux.

Augustin ou Auguste est pasteur. Il occupe divers postes en France, puis à quarante-quatre ans, abandonne le ministère paroissial pour travailler dans son cabinet, noyé dans la fumée de sa pipe. Il publie de nombreux ouvrages dont un dictionnaire de la Bible, un dictionnaire d'histoire ecclésiastique, et de nombreux opuscules. (...)

John, particulièrement doué pour la musique (violoncelle et surtout piano) pense s'y consacré. Puis il décide de se faire pasteur. Il rate ses études parce qu'il a de violents maux de têtes, les reprend, les abandonne encore. Enfin il est chargé d'une petite paroisse indépendante de Dordogne : La Force. Il y déploie une activité étonnante : construction d'un temple, d'un presbytère, d'un, deux, trois...neuf asiles où il reçoit orphelins, infirmes, débiles légers ou profonds, épileptiques et aussi des vieillards. (...)

Théophile est pasteur à Vervier. Il épouse une Anglaise, Eliza Baker qui lui donne cinq enfants dont quatre vivront. Champion du protestantisme libéral, auteur d'un livre, d'opuscules, de nombreux articles. (...)

Telle est la famille. Un père aux grandes capacités et qualités, d'humeur combative. Une mère douce et de caractère égal. Dix fils (dont chacun, disait leur père, avait une soeur) : six pasteurs, deux hommes d'affaires, un fermier, un malchanceux; (...).
De caractères très différents, depuis John le bâtisseur d'asiles jusqu'à Paul l'indolent, depuis Augustin l'homme de cabinet jusqu'à Théodore le pionnier. Tous très religieux et très protestants, chacun avec ses qualités et ses défauts.

Introduction

" Tout homme est une histoire sacrée." Ces mots de Patrice de la Tour du Pin nous viennent en mémoire au moment où nous présentons au public les lettres de Théodore Bost et de sa femme Sophie Bonjour.
Par l'image si précise et si vraie qu'elles donnent de la vie des pionniers, ces lettres sont d'abord, dans leur spontanéité et leur simplicité, un merveilleux témoignage historique. D'autre part elles inspirent une sorte de vénération pour leurs auteurs dont la piété, le courage, la sensibilité sont très attachants.
Certes, nos modestes héros, confondus dans la masse de ceux qui, venus de l'Ancien Continent, faisaient du Nouveau l'une des premières nations du monde, ne se doutaient pas que seraient publiées un jour les lettres qu'ils adressaient à leurs familles, lettres dans lesquelles ils ne parlaient que des choses quotidiennes, de leurs joies et de leurs détresses, de leurs affections, de leurs espoirs, de leurs échecs. Et il est possible que de nombreux émigrants aient écrits des lettres semblables qui dorment encore dans quelques greniers.

Introduction

Je pourrais vous en dire long sur le plaisir de cultivateur américain mais nous n'en sommes guère encore qu'à l'oeuvre laborieuse' du pionnier, et je vous assure qu'il faut de bons bras et du courage pour l'entreprendre et la mener à bonne fin. Figurez-vous un homme au milieu d'une épaisse forêt qu'il s'agit de défricher. Arbre après arbre tombent sous sa hache, les uns sont employés à lui construire une maison, des autres il se fend des perches pour bâtir une clôture; la plupart sont mis en piles pour brûler et désencombrer le sol; puis il faut couper les repousses; tout ramasser, branches, racines et repousses, empiler encore, brûler avec soin -la terre est alors prête, mais parsemée de troncs, remplie de racines !
(...)
Mais que la terre ainsi arrachée à la forêt, gagnée à la sueur de son visage, paraît belle au pionnier; le soir, tout fatigué mais content, il montre à sa femme les endroits difficiles, les belles et les mauvaises places, la meilleure terre, et les vilains coins - (...).

Premier enfant

Pourtant, merci, cher père, de nous parler ainsi à coeur ouvert et de compter pour quelque adoucissement la sympathie de vos enfants; si cette faiblesse croissante s'arrête, nous en serons bien heureux et reconnaissants; si, au contraire, elle devait vous emmener dans le séjour de la gloire, si vous devez vous "éteindre dans votre sommeil", cher père, cher aimé ami, nous saurons vous chercher où vous serez (...) dans le sein de Jésus, réuni à la grande famille des rachetés, et nous nous réjouirons encore plus d'y aller à notre tour. Dieu nous garde de vouloir retenir ici-bas les âmes de ceux qu'Il appelle à Lui ! Surtout lorsque ses enfants semblent avoir achevé leur oeuvre et soupirent après le repos. Une des heures les plus bénies de ma vie a été passée auprès du lit de mon père mourant, et je voudrais avoir l'immense bonheur de passer auprès de vous les dernières années de votre vie et vous fermer les yeux avec joie en même temps que de douleur.

Premier enfant

Puis, cher père, entendre appliquer exclusivement dans chaque meeting les mots " porter la croix de Jésus " à se lever dans l'église, où chaque chrétien dit son " expérience " presque toujours dans ces termes : "Je suis heureux de pouvoir dire que j'aime Dieu et que je suis un misérable pêcheur et j'espère qu'on priera pour moi "; c'est fort beau, mais entendre une cinquantaine ou une centaine de personnes le répéter toujours d'un air lugubre çà me rend toujours malade et triste. En effet entendre de vieux chrétiens considérer comme une croix de dire à des chrétiens qu'ils aiment leur Sauveur, et hors de l'église se conduire de manière à ne pas pouvoir être distingués des incrédules, ce qui est beaucoup plus le cas ici que chez nous, c'est triste; et surtout que l'église passe par-dessus de pareilles choses c'est encore plus triste.

La guerre de Sécession
La naissance d'Alphonse

Il commence à se faire tard et je veux, avant de me coucher lire plusieurs chapitres et avoir un bon moment de communion avec Dieu. Adieu donc, bien chers parents, que Dieu vous garde et vous conserve en bonne santé. Priez pour moi afin qu'Il me dirige dans ce moment et qu'Il fasse tout tourner à mon bien.

Seul à Chanhassen

Je fus longtemps sans pouvoir le croire, il nous semblait que cette mère qui depuis 23 ans m'écrivait si régulièrement tous les mois devait vivre encore bien des années. Elle fut pour moi plus que pour aucun de vous une mère, depuis tant d'années d'exil, puisqu'elle était presque la seule à correspondre et ses lettres nous étaient d'autant plus précieuses que nous savions qu'elle se fatiguait à nous en écrire de longues pour nous tenir au courant de ce que nos frères faisaient.
A présent, j'ai accepté cette perte. Elle ne pouvait mourir dans un plus beau moment et laisser un meilleur souvenir d'elle et c'est avec reconnaissance envers Dieu que je pense qu'il m'ait été permis de la revoir, qu'elle ait pu me revoir et revoir tous ses enfants heureux près d'elle (...)

Marchand à Excelsior