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Citation de Cielvariable


C’était plus facile, lui avait-on dit, si on se chantait une mélodie dans sa tête.

Assise aussi immobile que possible devant sa coiffeuse à pattes de lion, Clémentine fouillait sa mémoire à la recherche des chansons qu’elle avait apprises au piano dans le petit salon. Mais son esprit était vide depuis les enchères, ne laissant qu’un gémissement de peur muet, comme les lamentations des morts. Derrière elle, marmonnant
la bouche pleine d’épingles, Mère Fleur exultait, répétant que c’était un honneur pour Clémentine d’avoir obtenu une telle offre et qu’elle était très fière d’elle. La responsable de maison avait passé la dernière heure à préparer Clémentine pour sa Nuit de chance, laçant sa robe blanche vaporeuse, lui appliquant du rouge sur les joues, lui noircissant les yeux avec de la suie.

– Toi aussi, tu devrais être fière de toi, poursuivit la femme plus âgée.

Elle brossait les cheveux noirs crépus de Clémentine en arrière pour dégager son visage et les épingla en un nœud élégant. Un soupir las chatouilla la nuque de la jeune fille.
– Seize ans, enfin une vraie femme. Je me rappelle quand tu n’étais qu’une sauterelle, tout comme ta sœur. Mais elle s’en est bien sortie, Clémentine, et tu t’en sortiras bien toi aussi.

Clémentine ne trouvait aucun réconfort dans ces paroles. Mère Fleur avait passé l’âge de travailler depuis longtemps. Sa faveur, un œillet, avait commencé à se faner sur sa joue blanche et ridée, l’encre ensorcelée ayant depuis longtemps viré au gris. Clémentine se demandait si elle se rappelait sa Nuit de chance. Avait-elle été aussi effrayée ? Et les autres filles ? On dissuadait les filles du crépuscule de parler de leur travail aux filles de l’aube. Elles n’avaient raconté à Clémentine que l’essentiel.
Elles n’avaient pas précisé si ces dernières minutes étaient censées s’étirer comme le souffle qu’on retient entre l’éclair et le tonnerre ni si son ventre était censé chuter comme si elle tombait dans un précipice. Même sa sœur, Aster, ne lui avait jamais donné de détails sur sa Nuit de chance.

Cependant, c’était elle qui lui avait suggéré de chanter une mélodie dans sa tête.« Pas nécessairement ta chanson préférée, avait-elle dit. D’ailleurs, mieux vaut que ce ne soit pas ta chanson préférée. Choisis-en juste une que tu connais par cœur,et ne pense à rien d’autre. »

Aster avait aussi insisté pour qu’elle ne prenne pas de Chardon sucré, la mixture apaisante que les filles du crépuscule devaient boire pour calmer leur nervosité.Elle était allée jusqu’à lui demander de mentir à Mère Fleur et de lui dire qu’elle avait pris sa dose. Clémentine ne lui avait pas demandé pourquoi, même si cela l’avait surprise. Elle se fiait à Aster en toutes choses.
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