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Citation de Partemps


RICHARD WAGNER.

La Société des Grandes Auditions de France ne m’a pas admis à l’honneur d’entendre l’exécution de Parsifal qu’elle vient de donner au Nouveau-Théâtre par les soins de M. Alfred Cortot. M. Cortot est le chef d’orchestre français qui a le mieux profité de la pantomime habituelle aux chefs d’orchestre allemands… Il a la mèche de Nikisch (celui-ci est d’ailleurs Hongrois) et cette mèche est attachante au dernier point par le mouvement passionné qui l’agite à la moindre nuance… Voici qu’elle tombe mélancolique et lassée aux endroits de douceur, de façon à intercepter toute communication entre M. Cortot et l’orchestre… puis voici qu’elle se relève fièrement aux endroits belliqueux… à ce moment M. Cortot avance sur l’orchestre et pointe un menaçant bâton, ainsi que font les « Banderilleros » lorsqu’ils veulent déconcerter le taureau… (Les musiciens d’orchestre ont un sang-froid de Groënlandais, ils en ont vu bien d’autres). Comme Weingartner, il se penche affectueusement sur les premiers violons en leur murmurant d’intimes confidences ; se retourne vers les trombones, les objurgue d’un geste dont l’éloquence peut se traduire ainsi : « Allons, mes enfants, du nerf ! Tâchez d’être plus trombones que nature », et les trombones dociles avalent consciencieusement leurs cylindres.

Il est juste d’ajouter que M. Cortot connaît Wagner dans ses moindres replis et qu’il est parfait musicien. Il est jeune, son amour de la musique est très désintéressé ; voilà assez de raisons pour ne pas lui tenir rigueur de gestes plus décoratifs qu’utiles.

Pour revenir à la Société des Grandes Auditions, a-t-elle voulu, en me privant de Parsifal, me punir de mon iconoclasie wagnérienne ? Craignit-elle une attitude subversive ou quelque bombe ?… Je ne sais, mais je penserais plus volontiers que ces sortes d’auditions sont faites pour ceux qu’un titre nobiliaire ou de haute société autorise d’assister à ces petites fêtes avec une élégante indifférence pour ce que l’on y joue. La sûre gloire du nom inscrit au programme y dispense d’avoir des lumières et permet d’écouter avec soin le dernier potin, ou de contempler le si joli mouvement de nuque qu’ont les femmes en n’écoutant pas la musique. Pourtant, que la Société des Grandes Auditions prenne garde !… Elle va faire de la musique de Wagner le dernier salon où l’on cause. À tout prendre, c’est agaçant, ce côté de l’art wagnérien qui a d’abord exigé de ses fidèles des pèlerinages coûteux, accompagnés de pratiques mystérieuses. Je sais bien que l’« Art-Religion » était une des idées favorites de Wagner et qu’il avait raison, cette formule étant la meilleure pour aliéner et retenir l’imagination d’un public, mais cela a mal tourné en devenant une sorte de Religion-Luxe qui forcément en excluait beaucoup de gens plus riches en bonne volonté qu’en métal… La Société des Grandes Auditions continuant ces traditions d’exclusivisme me semble aboutir à l’« Art-Mondain » (détestable formule). Wagner, quand il était de bonne humeur, aimait à affirmer qu’il ne serait jamais si bien compris qu’en France. Entendait-il par cela des exécutions purement aristocratiques ? Je ne le crois pas… (Le roi Louis II de Bavière l’agaçait assez déjà par des questions d’arbitraire étiquette ; sa sensibilité orgueilleuse était trop avertie pour ne pas savoir que la seule vraie gloire ne peut venir que d’une foule et non d’un public plus ou moins filtré et doré.)

On peut donc craindre que ces exécutions, dont le but avoué est la diffusion de l’art wagnérien, ne servent qu’à l’éloigner de la sympathie des foules, façon sournoise de le démoder. — Je ne saurais dire qu’elles hâteront sa fin totale, car il ne pourra jamais complètement mourir. Il subira le déchet fatal, mainmise brutale du temps sur les plus belles choses ; il en restera tout de même de belles ruines à l’ombre desquelles nos petits-enfants iront rêver sur la grandeur passée de cet homme auquel il n’a manqué que d’être un peu plus humain pour être tout à fait grand.

Dans Parsifal, dernier effort d’un génie devant lequel il faut s’incliner, Wagner essaya d’être moins durement autoritaire pour la musique ; elle y respire plus largement… Ça n’est plus cet essoufflement énervé à poursuivre la passion maladive d’un Tristan, les cris de bête enragée d’une Isolde ; ni le commentaire grandiloquent de l’inhumanité d’un Wotan. Rien dans la musique de Wagner n’atteint à une beauté plus sereine que le prélude du troisième acte de Parsifal et tout l’épisode du Vendredi-Saint, quoique à vrai dire la leçon spéciale que Wagner tirait de l’humanité s’y manifeste quand même dans l’attitude de certains personnages de ce drame : regardez Amfortas, triste chevalier du Graal qui se plaint comme une modiste et geint comme un enfant… Sapristi ! quand on est chevalier du Graal, fils de roi, on se passe sa lance à travers le corps, on ne promène pas une coupable blessure à travers de mélancoliques cantilènes, cela pendant trois actes. Quant à Kundry, vieille rose d’enfer, elle a beaucoup fourni de copie à la littérature wagnérienne ; j’avoue mon peu de passion pour cette pierreuse sentimentale. Le plus beau caractère dans Parsifal appartient à Klingsor (ancien chevalier du Graal, mis à la porte du Saint-Lieu pour des opinions trop personnelles sur la chasteté). Celui-ci est merveilleux de haine rancuneuse ; il sait ce que valent les hommes et pèse la solidité de leurs vœux de chasteté avec de méprisantes balances. Ce de quoi l’on peut arguer sans effort que ce magicien retors, ce vieux cheval de retour, est non seulement le seul personnage « humain », mais l’unique personnage « moral » de ce drame où se proclament les idées morales et religieuses les plus fausses ; idées dont le jeune Parsifal est le chevalier héroïque et niais.

En somme, dans ce drame chrétien, personne ne veut se sacrifier ! (le sacrifice est pourtant l’une des plus belles vertus chrétiennes) et si Parsifal retrouve sa lance miraculeuse, c’est grâce à cette vieille Kundry, la vraie sacrifiée dans cette histoire ; double victime offerte aux manigances diaboliques d’un Klingsor et à la sainte mauvaise humeur du chevalier du Graal. L’atmosphère en est certainement religieuse, mais pourquoi certaines voix d’enfants ont-elles de si louches enroulements ? (Pensez une minute à ce que cela aurait pu contenir d’enfantine candeur si l’âme de Palestrina avait pu en dicter l’expression ?)
Tout ce qui précède ne regarde que le poète qu’on a coutume d’admirer chez Wagner et ne peut atteindre en rien la partie décorative de Parsifal ; elle est partout d’une suprême beauté. On entend là des sonorités orchestrales, uniques et imprévues, nobles et fortes. C’est l’un des plus beaux monuments sonores que l’on ait élevés à la gloire imperturbable de la musique.
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