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Citation de rkhettaoui


Jamais un homme de lettres ne m’a dit que je devais raconter les faits naturellement, sans fioritures, en nommant les gens et en décrivant la réalité nue.   Ce terme « vulgaire » est un électrochoc.   Après cette rencontre, je prends conscience d’avoir protégé le coupable et le clan en empêchant le lecteur de les reconnaître. Depuis des décennies, je continue de soutenir ceux qui m’ont fait mal, quand je sais pourtant, théoriquement, combien la notion de responsabilité individuelle est déterminante pour dénouer la lâcheté collective.   Je dois oublier ce manuscrit. Il faut recommencer à zéro.   Dans cette nouvelle façon d’écrire, il n’est pas question de faire joli. Il me faut dire sans enrober. Je redeviens une petite fille qui se souvient, année après année.   Je découvre que mes plaies sont toujours à vif. J’ai mal aujourd’hui comme hier quand il s’agit de décrire les fellations, les cunnilingus, les mensonges de mon oncle sur nos promenades, ma saleté, même lavée après la douche, la honte quand je croise les regards de ma sœur ou de ma cousine et qu’il vient dans notre chambre pour nous souhaiter bonne nuit en murmurant dans mon oreille qu’il m’attend.   Je bois comme un trou, je fume comme un pompier, je reste des heures assise . J’ai le corps en sang et le cœur en larmes. Je n’ai qu’une envie : mourir, plutôt qu’écrire à nouveau les viols, les mortifications et le « Tu l’as bien cherché » de ma grand-mère quand j’ai voulu sauver ma peau.   Je ne mange plus, je ne dors que par éclipses, je fume et je bois encore davantage. Mes enfants s’inquiètent. Ma mère aussi. C’est bien la première fois que je n’arrive plus à donner le change. Je me cache, je me terre. Je pense que je ne vais pas y arriver. Je me déteste de n’avoir pas le courage, je me dégoûte de n’avoir plus d’énergie. Je suis fatiguée, épuisée. Je n’en peux plus.   Je devine peu à peu que c’est mon honneur que j’interroge. Je suis de courage ou pas.   Il est plein et se vide. La sensation de ce trou plein qui se répand génère de nouvelles angoisses. Je suis en train de perdre une partie de mon identité.   Arrive l’évocation de l’anniversaire de ma mère et son déroulement. Au fur et à mesure que j’écris, je palpe l’abandon, et la béance qui s’ouvre de plus en plus. Je vais vérifier le sens exact de béance tant ce mot me semble sale lui aussi. C’est un vide impossible à combler.   Je sens que je vais devoir apprendre à vivre autrement. Non seulement je me mets à nu pour écrire mais plus encore, une partie de mon histoire meurt en existant noir sur blanc.   Les cicatrices sont toujours là, même si je les transcende avec l’écriture.   Je décide d’une date butoir pour boucler le récit.   Je ne veux plus différer, je ne peux plus reculer, Pour moi, l’avenir est clair, mais je pense à toutes les autres victimes. Je comprends que la lutte doit être sociétale tant la question de l’inceste dérange, même dans l’espace de la publication.   J’écris à chacun des membres de ma famille pour leur proposer une lecture collective.   Les réponses tardent. Cette offre n’a de sens qu’en présence du violeur.  
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