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Citation de Ahoi242


Tout a commencé avec le Catalogue des jeux obsolètes. Chaque chose doit commencer quelque part. C'est là que ça a commencé pour moi.
Je n'ai parlé du Catalogue qu'à une personne, une seule, et c'était bien après que Lucky Wander Boy est devenu l'un des facteurs - voire le facteur - qui ont tout changé. Je n'en ai pas parlé à Anya - elle m'aurait pris pour un extraterrestre, et elle était déjà étrangère dans un pays étrange. Elle m'en aurait voulu et aurait considéré mon projet comme l'un de ces nombreux exemples de l'imbécillité américaine qu'elle voyait partout où elle regardait.
Elle avait déjà commencé à m'en vouloir le mercredi 5 septembre 1999. Il s'avérait que ce 5/ 9 tombait exactement 95 jours après notre arrivée à Los Angeles. Mais, surtout, c'était le vingtième anniversaire du jour où Toru Iwatani, le concepteur de jeu de Namco, était allé manger une pizza avec des amis à Tokyo et, après avoir pris la première part, avait eu l'idée de Pac-Man. Une date propice aux commencements, rétrospectivement - et même si le concept du Catalogue germait dans la moiteur de mon esprit depuis quelque temps, c'est ce jour-là que ses premières pousses ont surgi, exigeant toute mon attention et des actes concrets de ma part.
J'étais dans la deuxième chambre, celle que j'avais réquisitionnée comme mon « bureau » à l'époque où je payais l'essentiel du loyer, même si ce temps et ma prospérité étaient depuis longtemps révolus. Après une heure de recherches assidues sur Internet, j'avais trouvé le hack de Clyde's Revenge, la version (ou inversion) du jeu qui vous permet d'être un fantôme pendant que Pac-Man vous poursuit à l'écran. Les sons étaient les mêmes que dans l'original - le swing électronique du thème d'ouverture, la sirène tourbillonnante en fond sonore, la spirale de la mort qui descendait glissando. Quand Anya les a entendus jaillir de mes petites enceintes, elle a fermé la porte de mon bureau et s'est vautrée sur le canapé du salon pour regarder la chaîne E ! Entertainment à plein volume. À travers la porte fermée, j'ai entendu A. J. Benza, le présentateur de Mysteries & Scandals, poser une question ironique et rhétorique sur les désagréments de la célébrité (« Ça craint, hein ? »).
J'ai continué de jouer, passant à la version hackée de I'm Going Berserk !, qui permettait à Pac-Man de gober des pac-gommes sans être poursuivi, et était donc moins un jeu qu'un exercice méditatif. Tandis que je faisais passer le Pac-Man du tunnel situé sur la gauche de l'écran à celui de droite, puis du tunnel de droite à celui de gauche, et ainsi de suite, tentant de le faire disparaître indéfiniment, j'ai clairement senti naître en moi une pensée essentielle, mais le bruit de la télé l'a empêchée de se fixer et elle est restée vague et brumeuse.
Pour essayer de donner vie à cette pensée, j'ai légèrement monté le volume, moyennant quoi Anya a à son tour monté le sien, ce que je n'aurais pas cru possible, si bien que notre voisin du dessous, dont j'ignorais le nom, s'est mis à cogner au plafond pendant qu'A. J. Benza explorait les mystères qui entouraient la mort du producteur de cinéma Paul Bern, dont le fantôme était apparu à Sharon Tate, deux ans avant son propre assassinat, dans le cottage de Benedict Canyon où Bern s'était collé une balle dans la tête le 5 septembre 1932.
Quand la coupure pub est arrivée, la télé est devenue silencieuse, et Anya a ouvert la porte du bureau.
« Wakawakawakawaka ! » s'est-elle écriée, et elle a quitté l'appartement.
J'ai été frappé par la violence de sa réaction, sans parler de sa futilité ; les seuls endroits à moins de cinq minutes à pied étaient un centre de réadaptation pour sourds alcooliques, l'Elks Club Lodge, et le salon de massage Kyoto Dreams. Cependant, lorsque le bruit de ses pas s'est estompé, une paix rare a envahi les quatre pièces, un silence riche dans lequel ma pensée a pu se fixer et croître jusqu'à ce que me vienne l'idée du Catalogue des jeux obsolètes. Dans tout projet d'ampleur, le plus dur (outre l'achever) est de s'y mettre, et je savais que je n'aurais peut-être jamais de meilleure opportunité. J'ai donc abandonné l'émulateur de jeux vidéo et lancé mon traitement de texte. Le temps était venu de commencer.

Wakawakawakawaka, p. 13-15
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