Danielle Trichaud-Buti

Les populations amérindiennes ont puisé dans leur proche environnement minéral, végétal et animal les matières nécessaires à la production de leurs pigments et colorants. (...) Mais les rouges les plus intenses sont tirés d'insectes, de cochenilles sauvages (...)
La peinture aux pigments tirés de ces cochenilles couvre les murs des palais, de bâtiments civils, et religieux à l'architecture grandiose chez les Mayas, les Aztèques ou Quechuas mais aussi des maisons parfois plus modestes.

Des boutiques parisiennes et versaillaises innovent en proposant des "tasses de rouge" ou de "pots de rouge". Ces pommades pour les lèvres, futurs rouges à lèvres, à base de cochenille apparaissent au début du XVIIIè siècle avec, dans le dernier tiers du siècle, des nuances allant du rouge foncé au jaune orangé.

Comme pour les autres cochenilles à teintures rouges, ce sont les femelles qui fournissent la matière colorante, la plus forte concentration étant obtenue juste avant la ponte (jusqu'à 650 oeufs) qui peut-être bisannuelle si les conditions climatiques sont favorables, notamment dans le sud de la France.

La prohibition "sous peine de la vie", de sortir l'insecte vivant hors de son territoire de production consolide le monopole de l' Etat espagnol.

Les peuples précolombiens obtenaient et modifiaient les couleurs de cramoisi en utilisant un mordant pour accrocher la couleur sur les fibres, en l'occurrence un sel métallique. En Amérique centrale, c'est l'alun, composé de sels métalliques d'aluminium et de potassium, le salpêtre ou des plantes locales, comme des miconias, contenant de l'albumine qui servaient de mordants en modifiant, selon la teneur, les teintes du rouge vif au pourpre et au violet.

Dans de nombreuses civilisations, la couleur rouge présente un caractère ambivalent: vie ou mort, bonheur ou malheur, création ou destruction.

Chaque cochenille-mère peut donner naissance à trois cents insectes à la première génération et 90.000 à la deuxième. Les nopals blanchissent car recouverts de filaments de protection qui enserrent les petites cochenilles.

De récents travaux de biochimistes mexicains ont montré que le colorant est en fait le constituant de son système immunitaire destiné à assurer la survie de l'espèce.

L'éducation de la cochenille ne peut exister sans le nopal, comme celle du ver à soie ne peut se concevoir sans le mûrier. (...) La plus grande partie de la cochenille qui entre dans le commerce est cependant fournie par de petites nopaleraies qui appartiennent à des Indiens parfois très pauvres.

Gros consommateurs de colorants rouges, les peuples précolombiens donnent à voir des rouges. Cette couleur est partout (...) Le colorant rouge est le substitut symbolique du sang recueilli après les sacrifices humains qui accompagnent les rituels très codifiés des guerres.